Face à face

Vous êtes-vous déjà trouvé face à un animal sauvage ? Avez-vous déjà plongé votre regard, votre être, dans cette part sauvage et intacte de notre histoire ?
Je ne parle pas d’un ours ou d’un tigre, mais simplement d’un renard ou d’un sanglier, d’une biche ou d’un cerf. Nez à nez avec l’animal, aussi étonnés l’un que l’autre, immobilisés sous l’effet de la surprise, aussi statiques l’un que l’autre, les yeux dans les yeux.

Un soir par semaine, depuis que le confinement a commencé, je pars me ressourcer en pleine nature. Je marche et me dissous dans la végétation, au gré des murmures de la rivière, je disparais et deviens forêt.

Hier soir, alors que je marchais tranquillement, un sanglier est sorti des fourrés.
Nous nous sommes retrouvés face à face, à quelques mètres de distance, mais tout aussi surpris l’un que l’autre.
L’espace de quelques secondes, le temps se suspend, arrêt sur image, le sanglier et moi restons figés.
Et c’est à ce moment là que se produit la magie.
Un lien puissant se créé, quelque chose d’ancestral et de profondément sauvage. Plus rien n’existe que l’animal et moi, lui se demandant peut-être si je vais tirer et moi me demandant s’il va charger ou fuir. Tout va très vite. Et pourtant, ce moment d’immobilité, les yeux dans les yeux, est suspendu dans une éternité qui appartient au début du monde vivant.
Un peu plus tard, à la tombée de la nuit, je rentrais par une large piste, absorbée par ma cueillette de quelques fleurs de millepertuis, quand je me suis sentie observée.
Un peu plus bas, au beau milieu de la piste, comme un gros chat gris.
Je me souviens avoir eu le temps de m’étonner, de m’interroger « ça ne peut pas être un chat ici, et puis c’est plus gros ». Et comme je continuais à avancer, il est parti doucement en direction de la forêt et a disparu. J’ai reconnu un majestueux renard. J’en rencontre très régulièrement et le renard a cette particularité de prendre grandement son temps, d’observer, de scruter, avant de s’échapper. Et même un fois, qu’il était parti, je suis certaine qu’il continuait de m’observer. Je sentais son regard toujours sur moi.
Mes plus belles stupeurs sauvages ont eu lieu avec des biches, par deux fois, au bord de la Gordolasque, et en montant au col de Salèse. Les deux fois, j’aurais pu la toucher, tellement elle était proche. Les deux fois, je marchais pieds nus et étais donc silencieuse. Les deux fois, j’ai été pétrifiée par la surprise, comme lorsque quelqu’un vous fait peur en se cachant et en surgissant d’un coup.
Mais quelle magie, quand votre regard croise celui de l’animal, sans détour, profond et entier.
Je plonge dans les profondeurs de la terre et plus rien n’existe que ce partage sauvage. Je redeviens terre, je redeviens arbre, je redeviens cerf. Je ne suis qu’instinct.