29 février 2024

Ce jour qui n’apparaît que de temps en temps dans notre calendrier, ouvre possiblement une lucarne sur une perception autre.
Ce matin, en laissant un vocal à mon ami Jérôme dont c’est l’anniversaire, j’ai l’impression d’un jour hors du temps, d’un jour qui n’existe pas. Ce matin, en ouvrant mes volets et en m’étirant entre le ciel et la terre, dans l’air encore dense des gouttes d’eau de la veille, empli de chants d’oiseaux, je ressens une réalité différente.
Cela me donne l’envie de retracer ces quelques derniers jours avec un regard différent, un regard « peuple premier ».

Un rêve pour commencer. 1er février 2024.
Je vole, en position horizontale au dessus de la terre, je n’ai pas d’aile. J’ai par contre des bandelettes blanches entourées autour de mes jambes. Elles partent des pieds et remontent jusqu’en haut des cuisses. Elles commencent à se défaire et c’est embêtant car ce sont elles qui me permettent de voler. Mes jambes doivent être recouvertes.
J’ai mon portefeuille avec moi. Il tombe. Je regarde en bas. Une grande faille. Je sais que je ne pourrai jamais le récupérer. J’ai tout à l’intérieur, ma carte d’identité, ma carte bleue…
Je suis avec un groupe emmené par une femme et nous faisons une pause dans une cabane en bois, dans les airs. J’en profite pour enrouler à nouveau les bandelettes autour de mes jambes. Je n’ai pas très envie de repartir mais je sais que le vol est encore long et que nous n’avons pas le choix.
Maya est avec moi, je lui demande si elle a le numéro de téléphone de ma mère (il semble que j’ai également perdu mon téléphone.). Elle me répond « oui ». « Peux-tu lui envoyer un message : « je pense à vous et je vous aime » ? ». Je me fais la réflexion suivante : c’est étonnant, c’est inversé, c’est moi qui suis au ciel et eux sur terre.
A partir de maintenant, c’est comme si je passais en caméra extérieure. Je ne vis plus les choses de l’intérieur, je les vois.
Paysage de neige, un descente avec des arbres autour. Deux corps qui dévalent la pente. Atterrissage trop rapide. Un des corps heurte même une pierre. Je sais qu’une des deux personnes est moi.
A nouveau changement de décor. Une église, que je connais, on nous applaudit. Sommes-nous mortes ?

Un scarabée dans le jardin quelques jours avant, en plein hiver. Le lendemain, départ pour Paris avec Maya. Nous irons avec mon la marraine de Maya et avec ma filleule faire un exposition sur l’Egypte (non planifiée au moment du rêve, nous serons à l’ouverture de l’exposition) dans laquelle il nous faudra enrouler des bandelettes autour d’un mannequin, pour identifier un mot…

Passent 3 semaines.
Mes enfants sont au ski, protégés par une bulle d’amour.
Grosse journée hier pour moi, avec un aller-retour en avion sur Toulouse. Je pars très tôt le matin car il me faut passer par Paris.
Moon, notre petite chatte, me réveille en pleine nuit et m’apporte sa chasse de la nuit (c’est heureusement assez rare). La dernière fois, je l’ai sortie dehors avec sa souris dans la gueule. Elle m’entend bouger dans un demi-sommeil, peut-être se dit-elle que je vais à nouveau la mettre dehors et elle redescend. Il ne me reste que peu de temps à dormir, je mets un bouchon dans une oreille et me couche sur l’autre.
Le réveil sonne. J’allume la lampe pierre de sel et dans toute la chaleur de son éclairage, je découvre le long de mon lit, un parterre de plumes et un petit rouge gorge étendu. Moon ne nous a rapporté qu’une seule fois un oiseau. C’est le deuxième.
Assise en tailleur sur mon lit, l’espace d’un instant, qui peut durer une éternité, je n’ai que peu de temps, plongée dans la scène, je m’interroge. Dois-je y voir un mauvais présage, en lien avec mon rêve ? Un avertissement ? Ne pas prendre l’avion. Annuler ma journée ?
Je décide de me préparer et partir. La vie m’indiquera tout changement de direction, et si c’est mon heure, rien n’y fera.
Aéroport de Nice, je retrouve deux collègues. Accueillie dans l’avion par Cyrille, que je connais bien. Il m’apporte un sac empli de douceurs à grignoter et me propose de passer la deuxième partie du vol dans le cockpit. J’accepte avec joie. Vue à 180°, ciel dégagé. Les pilotes sont très agréables et le capitaine décide de passer en pilotage manuel. L’atterrissage se fera en douceur. Douceur ouatée des quelques nuages traversés, douceur de la lune présente dans la vitre située à ma gauche, douceur de l’improbable réalisé… comme une perméabilité entre le rêve et la réalité.
Les peuples premiers sont habitués à naviguer entre les mondes et c’est ce que je ressens profondément à ce moment d’interconnexion.
Et si je pousse encore un peu plus loin ma vue « primitive », une offrande a été faite, le matin même de mon départ, par l’intermédiaire de mon chat, pour que mes trajets aériens se passent au mieux.
A chaque instant, le voile de notre réalité peut se déchirer, laissant apparaître l’absolu, la perfection, l’ordre des choses… Christian Bobin, lui qui en parle si bien, l’aurait nommé Dieu.
Comme dans la brèche de mon rêve, celle dans laquelle je perds mon identité, le monde peut s’ouvrir, à tout moment…

J’ai reçu une éducation scientifique, j’ai fait mon mémoire sur la géométrie de Lobatchevski, qui pose les bases d’un monde dans lequel deux droites parallèles se coupent à l’infini, un monde qui n’a absolument rien à voir avec le monde dans lequel nous avons coutume de vivre, formaté par les axiomes de la géométrie euclidienne…
Il n’y a pas de vérité absolue, il n’y a que des modélisations sur lesquelles nous nous entendons, dans un consensus qui semble donner les contours de notre univers.
Nos rêves, nos intuitions, les synchronicités qui jalonnent notre chemin, ne sont-ils pas autant d’invitations à changer notre regard ?
Non pas dans une direction précise, plutôt qu’une autre, mais plutôt à élargir notre vue. Sans rejeter l’une ou l’autre, mais en les intégrant, et en ouvrant encore plus largement notre regard.

J’ai enterré l’oiseau, doux et coloré, et l’ai accompagné par un rituel.
Les plumes sont encore là.
J’avais un avion à prendre.
No tiempo.

Il était une fois, dans la ville de Foix, une marchande de foie…

Deharadun novembre 2019, une femme sans âge, aux yeux pétillants, tibétaine, médecin, me reçoit en consultation. Elle prend mon pouls. Diagnostic immédiat. Le foie et la rate, encombrés, à nettoyer. Elle me demande si je bois, non. Si je mange gras, pas particulièrement. Mon seul excès, le chocolat. Excessivement.
Et pour la petite histoire, elle me prescrit d’incroyable pilules faites à base de plante, à Dharamsala, sous l’égide et la bénédiction du Dalaï lama. Tellement mauvaises au goût ! A prendre plusieurs fois par jour… Inimaginable tant que pas ingéré !
Jamais on ne m’avait parlé de mon foie. L’organe de la colère.
Je m’interroge. Je ne mets pas en colère. Elle a dû se tromper….
Bien sûr, cela chemine. Moi, je ne me mettrais pas suffisamment en colère ? Ou plutôt, je ne parviendrais pas à lâcher-prise sur des sujets qui me minent de l’intérieur, et sur lesquels je ne peux rien. Noyée dans l’incompréhension du fonctionnement du monde et de ses habitants. Comment vivre sur une planète où des enfants meurent de faim alors que d’autres se repaissent de superflu ?

Valbonne, 24 février 2024. Pleine lune. Travail sur l’organe du foie en qi gong hier. J’appuie à nouveau sur ces points douloureux autour des yeux. Et je peux sentir toute cette colère refoulée, elle remonte, elle est là, et peut enfin s’écouler doucement. Elle se transforme rapidement en tristesse.
Tristesse de ce qui aurait pu être, qui n’a pas été., qui ne sera jamais. Le laisser partir, simplement. Le lâcher.
Je vois tout ce gâchis, tout ce gâchis de vie, toute cette beauté, tout ce potentiel, piétinés, saccagés… Cette nature merveilleuse, tellement précieuse, les animaux, les arbres, les fleurs, la beauté inimaginable d’une simple feuille.
Comment ne pas en prendre soin ?
Comment ne pas en prendre soin ?
Et cela crie, cela hurle à l’intérieur de moi.
Un animal, comment lui faire du mal ? Comment est-ce possible ? Que ce soit l’éléphant majestueux et sacré ou l’araignée.
Et comment aller jusqu’aux enfants, aux femmes, à chaque être humaine… C’est trop.
Les mots sont à leur limite.
Hurler d’incompréhension et enfin laisser la tristesse s’écouler.
Laisser s’écouler et lâcher.
Libérer mon foie.

Libérer mon foie, garder la foi.
Phrases toutes faîtes ! La foi, je l’ai vue dans les yeux bleus et le regard lumineux de ma mère. Ce ‘n’est pas son foie qui était en souffrance mais ses reins. Son coeur et ses reins.
La foi, je ne me la suis jamais vraiment autorisée. Alors je risque pas de la garder. Je découvre aujourd’hui que cela peut être un chemin. Cela ne relève pas que de l’innée.
La foi peut s’acquérir. Et ça, aujourd’hui, j’y crois. Et je chemine vers. C’est certainement un chemin de vie.
Vivre avec la foi.
Le colibri.
Aller encore et encore nettoyer, accompagner, chacune et chacun sur son chemin d’humanité.

Les tribulations du moi qui croyait être lui

Je descends de ma mezzanine, mes pieds nus sur le bois nu de l’escalier, puis sur celui du parquet, 7:00, j’ouvre les volets, en bois eux aussi. L’extérieur me saisit, la fraîcheur de l’air, les lattes de la terrasse encore imprégnées de nuit sous mes pieds, le chant des oiseaux, celui corbeau en solo, le clair de jour témoin du réjouissant allongement des journées. Les cloches du village entament leur première volée, portée par la vaste symbolique du 7 spirituel.
Je regarde le monde, je respire le monde, j’entends le monde, je ressens le monde… l’espace d’un instant, je deviens le monde.
Tout frémit de gratitude à l’intérieur de moi.
Et plus profond encore, tout à l’intérieur, vibrant, quelque chose qui sait intuitivement que le monde est autre, dans cette interconnexion de toute chose.
Je laisse mon corps et mon esprit se dilater dans cette immensité dont les limites se dissolvent tranquillement.
En cet instant, je peux sentir la fragilité de notre représentation, ce consensus, transmis de génération en génération, dans lequel nous évoluons, dans une division et une exclusion maladives, alors que tout est relié et intriqué, des racines les plus lointaines des arbres, à chacun des êtres vivants, pris individuellement.
Nous nous définissons des oripeaux de nos expériences accumulées, comme un vêtement de fortune, fait de bric et de broc, rapiécé cent fois, déchirure après déchirure… perdus dans le dédale de nos prises de conscience successives, croyant enfin être sur le bon chemin… jusqu’à un jour, peut-être, lassés d’errer, laisser notre vieux manteau, sortir du labyrinthe par le haut et oser être.

To Be Continued