Quête de vision, renouer intimement avec la nature

Cela commence par une descente alimentaire. Douce.
Légumes et fruits… un fruit… puis plus rien.

Nous partons dans la nature. Nos emplacements, pré-identifiés, ont été tirés au sort.
Une bâche, un sac de couchage, un petit matelas, nos 365 petits sacs de tabac reliés entre eux pour former une longue cordelette qui relie toutes nos relations (mitakuye oyasin). Les femmes ont droit à un peu d’eau.
Pas de nourriture, pas de téléphone, pas de montre, pas de livre, pas de stylo, rien qui pourrait nous occuper ou nous distraire…
Chaque groupe part avec ses « helpers », les deux personnes qui prendront soin de chacun, à partir de maintenant et jusqu’au retour… Antoine a identifié les lieux dans la montagne. Connexion, j’ai confiance. Emilie, qui vient depuis la Belgique, avec son joli visage ouvert, l’accompagne.

Le lieu qui m’est attribué est un écrin de beauté avec vue sur la vallée et les montagnes. Des arbres et du soleil, ouvert sur l’infini… J’ai beaucoup de chance.
Je délimite mon espace avec ma cordelette. Je ne devrai pas en sortir.
J’ai également donné ma parole au tabac et je serai en silence.
Je rencontre le lieu, décide de l’emplacement qui me servira à dormir, là où je vais immédiatement installer ma bâche car ils prévoient beaucoup de pluie. Je tends ma bâche : 1m de largeur en horizontal (pour m’briter) et 1m en vertical, jusqu’au sol. Elle sera ma meilleure amie, me permettant de rester au sec malgré la pluie qui nous accompagnera les trois quarts du temps.

La première journée est belle et sèche. Je profite pleinement d’être seule dans ce lieu que j’affectionne tant. Eourres et les Damias. Une histoire d’amour, commencée il y a un peu plus de 10 ans. La douceur intense de l’air, le bruissement des feuilles de noisetier.
Je décide de danser tout doucement dans le lieu… et je découvre les arbres qui m’entourent. La plupart sont colonisés par le gui. J’en cueille et je l’installe aux pourtours de mon espace. Je me sens dans une bulle protégée.

Mes deux anges gardiens, appelés trop modestement helpers, passent voir si tout va bien, deux fois par jour, une fois le matin, une fois en fin de journée. Je leur fais signe que tout est OK.
Je lis dans leur regard une vraie ferveur, comme quelque chose d’intime qui fait confiance et qui est heureux. Quel merveilleux soutien, quel merveilleux lien.
Deux anges venus du monde d’en dessous, tout est sens dessus dessous, sans ordre ni durée, le temps est aboli et l’infini est si proche.

La nuit tombe. Les tambours retentissent. Je les entends au loin, et leurs chants aussi.
A la tombée de la nuit et au lever du soleil, nos helpers se regroupent autour du feu et jouent pour nous, se relient à nous. Emotion d’un lien différent et pur, sincère. Infiniment empathique et soutenant.

Il est l’heure d’entrer dans ma tanière. Le froid est mordant.
Je me glisse dans mon sac de couchage sarcophage, placé sur mon matelas auto-gonflable, de la même forme, trop étroite, qui empêche quasiment tout mouvement. Au bout d’une heure environ mes pieds se réchauffent et je peux me permettre de retirer chaussettes et jean.
Les étoiles apparaissent… je m’endors…
Je serai réveillée par la pluie. Je me sers dans mes 1m d’abris, espérant que mon installation soit étanche. Ce sera le cas, contrairement à certains de mes compatriotes qui seront trempés.

Seule en pleine nature, un matin, une après-midi, une soirée, une nuit, un matin, une après-midi, une soirée, une nuit et encore un matin… relisez cette phrase en ralentissant le rythme de lecture…

Il pleuvra sans interruption toute la journée du lendemain jusqu’en fin d’après-midi, ou le soleil viendra nous réchauffer pour un temps bref avant le retour de la nuit, puis de la pluie.

Le plus difficile pour moi sera de rester dans cet étroit espace protégé, restreint, avec des gestes très limités.

Mais ce dont j’aimerais témoigner avant tout, c’est ce qu’a crée ce temps sans repère et sans activité aucune, à jeun, en pleine nature.
Je pars régulièrement marcher en pleine nature, je pars régulièrement seule, dans une grange isolée, me ressourcer… Mais jamais je n’ai été aussi longtemps à ne rien faire, reliée intensément aux éléments. Jamais je n’avais communié ainsi avec la nature.
Des heures à regarder l’infini du ciel, la course à plusieurs étages des nuages, les formes si explicites qu’ils peuvent prendre dans cet écran gigantesque du firmament.
Retrouver l’enfant qui s’ennuie, qui oublie qu’il s’ennuie et disparaît en se laissant absorber par ce qu’il regarde.
Sentir intensément l’odeur de la terre, frotter dans sa main la pulpe d’une lavande séchée et se laisser enivrer.
Se demander comment les gouttes d’eau restent accrochées aux feuilles, sans jamais tomber. Se réjouir du bourdonnement des insectes encore si vivants et présents, butinant inlassablement.
Laisser pleuvoir, laisser sécher, s’émerveiller, appréhender, rendre les armes, se laisser aller.
Petit à petit disparaître… et vibrer au rythme de la nature, comme dans le ventre d’une mère, de notre mère nourricière à tous.
Ce rythme primaire et viscéral que, jamais, nous n’aurions dû oublier.

Prendre quelques poignées d’heure de sa vie et entrer pleinement dans l’écosystème de la nature : se mettre à son rythme et lui offrir toute notre disponibilité.
Enfin l’honorer et lui rendre hommage en se connectant à elle, en la rencontrant de l’intérieur.
Oh pardon de ne pas avoir fait cela avant…

J’écris pour ne pas oublier, ou plutôt pour avoir conscience que je suis en train d’oublier. Je saurai qu’il est temps d’à nouveau plonger et m’immerger en ton sein, me mettre à ton rythme, me remplir de tes odeurs, de tes sons, de tes couleurs…