La danse des grand-mères – Clarissa Pinkola Estès

Les abuelitas : les petites grand-mères.
La vieille femme mythique.
En quoi est-elle dangereuse ?
En quoi est-elle sage ?
On la découpe. Elle repousse.
Elle meurt. Elle repousse.
Elle enseigne aux jeunes à faire comme elle.
Ajoutez l’audace.
Ajoutez la danse.

Intuitivement, dans sa psyché, une femme comprend qu’être en bonne santé, c’est avoir une santé « florissante ». Lorsqu’elle est blessée, il y a dans son esprit et dans son âme un filament vibrant et vivifiant qui, envers et contre tout, pousse en direction de la vie nouvelle – soit vers de nouvelles forces de toute sorte, soit vers la reconstitution de l’intégrité perdue, ou la constitution d’une intégrité inconnue jusqu’alors. Cette force intérieure est mue par le désir de bien-être. Elle croit à un élément salvateur capable de lutter contre le mal. (…)
Même lorsque l’action du moi est momentanément contrariée, la femme cachée sous la terre, la gardienne du feu, maintient une attitude envers la vie – un surcroît de vie – qui pousse sans cesse vers le haut et réclame plus de vitalité et d’épanouissement, plus d’égards et d’affirmation de soi… et un peu plus encore, et encore, jusqu’à ce que l’arbre de vie ait atteint au-dessus du sol la taille de son vaste réseau de racines souterraines.
(…)

Pour expliquer la force vitale d’une femme, la poésie est nécessaire; tout comme sont nécessaires la danse, la peinture, la sculpture, le tissage, la poterie, le théâtre, la parure, l’invention, l’écriture passionnée, l’étude des livres et de ses propres rêves, les échanges verbaux avec des personnes sages, un perception, une pensée, des sensations attentives… des réalisations et des apports en tous genres… car les mots ordinaires ne suffisent pas à exprimer certains éléments mystiques, mais les sciences, la contemplation de ce qui est invisible mais palpable, et les arts y parviennent.
Pourtant, dans les orages comme dans les moments de satisfaction, la femme cachée continue à veiller sur la magnifique force vitale et elle se démène pour faire savoir qu’au moment même où nous sommes détruites, la reconstruction a commencé. Ainsi, cette force intérieure agit comme une grand-mère, la plus grande des grand-mères, l’essence de la santé et de la sagesse de l’âme qui nous guide et ne nous quittera jamais.
Nous faisons l’expérience de cette source mystérieuse par l’intermédiaire des connaissances précises et précieuses, d’une origine indiscernable, qui se présentent inopinément dans les rêves nocturnes clairs ou complexes, dans l’irruption d’idées et d’énergies apparemment surgies de nulle part, dans la certitude soudaine que notre affection, notre opinion, ou notre contact physique est réclamé quelque part, dans la détermination imprévue d’intervenir, ou de nous détourner, ou d’aller vers. Comme la vieille femme sage qui apparaît dans les contes, la source protectrice de l’étincelle d’or, se manifeste par l’intermédiaire d’exhortations intérieures à agir dans la discrétion ou au contraire de manière éclatante, d’une impulsion judicieuse à créer de nouveau, à chérir plus fort, à réparer plus complètement, à répandre plus largement, à protéger une vie nouvelle.
(…)

Quels que soient notre âge, notre condition physique, notre situation, l’esprit de la grand-mère entend nous apprendre que notre intelligence est à l’oeuvre lorsqu’il s’agit de s’efforcer d’acquérir de la sagesse et de créer une vie nouvelle. (…)

Les instruments magiques utilisés par la grand-mère archétypale pour la transformation sont restés les mêmes depuis des millénaires. La table de cuisine. La lumière de la lampe. L’unique bougie. La chanson. Le rituel. La perspicacité. L’intuition. La soupe. Le thé. L’histoire. La conversation. La longue route. Le confessionnel. La main affectueuse. Le sourire séducteur. La sensualité affûtée. Un sens de l’humour sarcastique. La capacité de lire dans les âmes. Le mot gentil. Le proverbe. Le coeurà l’écoute. La capacité d’offrir à d’autres, quand il le faut, l’expérience déchirante d’un certain regard.
Pour une femme, obtenir la connaissance souhaitée, la mettre en oeuvre et le montrer, se révèle parfois dans cette période de changements majeurs un acte de défiance, mais surtout, c’est un acte de bravoure, c’est à dire un acte de création primordiale en dépit de l’incertitude et de l’absence de sécurité, un acte qui rassemble la vie de l’âme et la miséricorde, un acte d’amour.
Le fait qu’au cours du processus d’acquisition de la sagesse, une femme soit constamment en train de ré-enraciner dans la vie de son âme constitue un acte suprême de libération.
Apprendre aux jeunes à faire de même – et par « jeunes » il faut entendre toutes les personnes qui en savent moins et sont moins expérimentées qu’elle – est l’acte le plus radical, le plus révolutionnaire. Pareil enseignement a une grande portée, il fait don de la vraie vie au lieu de rompre la ligne matrilinéaire de la femme sauvage et sage, l’âme sauvage et sage.
(…)

Malgré nos attachements actuels,
malgré nos maux, nos souffrances, nos chocs,
nos pertes, nos gains, nos joies,
le site vers lequel nous nous dirigeons est
cette terre de la psyché que les aïeux habitent,
ce lieu où les humains restent tout à la fois divins et dangereux,
où les animaux dansent encore,
où ce qui a été coupé repousse,
et où ce sont les rameaux
des arbres les plus vieux
qui fleurissent le plus longtemps.
La femme cachée
qui entretient l’étincelle d’or
connaît cet endroit.
Elle sait.
Et toi aussi.

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