Première partie : La vie
Un – Le miroir et la mort
Deux – L’impermanence
Trois – Réflexion et changement
Réfléchir en profondeur sur l’impermanence comme le fit Krishna Gotami, nous amène à une compréhension intime de cette vérité exprimée avec tant de force par les vers du maître contemporain Nyoshul Khenpo :
La nature de toute chose est illusoire et éphémère,
Les êtres à la perception dualiste prennent la souffrance pour le bonheur,
Semblables à un homme léchant du miel sur le fil d’un rasoir,
Ô combien pitoyables, ceux qui s’accrochent si fort à la réalité concrète :
Amis de mon coeur, tournez plutôt votre attention vers l’intérieur.
(…)
Nous pouvons faire de la liberté un idéal tout en demeurant totalement esclaves de nos habitudes.
La réflexion peut pourtant nous amener lentement à la sagesse. Nous pouvons nous apercevoir que nous retombons sans cesse dans des schémas habituels de comportement et aspirer alors de tout notre être à leur échapper. Bien sûr nous y retomberons maintes et maintes fois mais, peu à peu, nous pourrons en émerger et nous transformer. Le poème suivant s’adresse à chacun de nous. Il est intitulé « Autobiographie en cinq actes ».
- Je descends la rue,
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je tombe dedans.
Je suis perdu… je suis désespéré.
Ce n’est pas ma faute.
Il me faut longtemps pour en sortir.
- Je descends la rue,
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je fais semblant de ne pas le voir.
Je tombe dedans à nouveau.
J’ai du mal à croire que je suis au même endroit.
Mais ce n’est pas ma faute.
Il me faut encore longtemps pour en sortir.
- Je descends la même rue,
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je le vois bien..
J’y retombe quand même… c’est de venu une habitude.
J’ai les yeux ouverts
Je sais où je suis
C’est bien ma faute.
Je ressors immédiatement.
- Je descends la même rue.
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je le contourne.
- Je descends une autre rue…
Le but réel d’une réflexion sur la mort est de susciter un changement réel au plus profond de votre coeur, d’apprendre à éviter le « trou dans le trottoir » et à emprunter une autre rue.
(…)
Ce renoncement auquel vous parviendrez vous procurera à la fois tristesse et joie : tristesse en réalisant la futilité de vos comportements passés, et joie en voyant la perspective plus large qui se déploiera devant vous, quand vous serez capable d’y renoncer. Ce n’est pas là une joie ordinaire. C’est une joie qui donne naissance à une force nouvelle et profonde, à une confiance et à une inspiration constante lorsque vous réalisez que vous n’êtes pas enchainé à vos habitudes, mais que vous pouvez vraiment en émerger, changer et vous libérer de plus en plus.
(…)
C’est alors que nous commencerons à goûter, au plus profond de nous, l’exaltante vérité de ces vers de William Blake :
Qui veut lier à lui-même une Joie,
De la vie brise les ailes,
Qui embrasse la Joie dans son vol,
Dans l’aurore de l’Eternité demeure.
(…)
Ainsi chaque fois que les pertes et les déceptions de la vie nous donnent une leçon d’impertinence, elles nous rapprochent en même temps de la vérité. Quand vous tombez d’une très grande hauteur, vous ne pouvez qu’atterrir sur le sol : le sol de la vérité. Et si vous possédez la compréhension née d’une pratique spirituelle, tomber ne constitue en aucun cas un désastre mais, au contraire, la découverte d’un refuge intérieur.
(…)
Si vous y regardez de plus près, rien ne possède d’existence intrinsèque. C’est cette absence d’existence indépendante que nous appelons « vacuité ». (…)
C’est ce que nous entendons lorsque nous disons que les choses sont vides, qu’elles n’ont pas d’existence indépendante.
(…)
Si nous portons un regard véritable sur nous-même et sur les choses qui nous entourent et qui, jusqu’alors, nous paraissaient si certaines, si stables et si durables, nous nous apercevons qu’elles n’ont pas plus de réalité qu’un rêve. Le Bouddha a dit :
Sachez que toutes choses sont ainsi :
Un mirage, un château de nuages,
Un rêve, un apparition,
Sans réalité essentielle : pourtant leur qualités peuvent être perçues.
(…)
La vraie spiritualité consiste à être conscient du fait que, si une relation d’interdépendance nous lie à chaque chose et à chaque être, la moindre de nos pensées, paroles ou actions aura de réelles répercussions dans l’univers tout entier. (…) Tou est inextricablement lié. Nous en viendrons à comprendre que nous sommes responsables en fait de nous-mêmes, de tous les êtres et de toutes les choses, ainsi que de l’univers entier.
Quatre – La nature de l’esprit
Parmi les nombreux aspects de l’esprit, on en distingue plus particulièrement deux. Le premier est l’esprit ordinaire, que les tibétains appellent SEM. Un maître le définit ainsi : « cela même qui est doté d’une conscience discriminante, cela qui possède un sens de la dualité – qui saisit ou rejette ce qui est extérieur à lui : tel est l’esprit. Fondamentalement, il est ce que l’on associe à l’autre – tout objet différent de celui qui perçoit. » Sem est l’esprit discursif, dualiste, l’esprit qui pense, qui ne peut fonctionner qu’en relation avec un point de référence extérieur projeté par lui et faussement perçu. (…)Le deuxième aspect est la nature même de l’esprit, son essence la plus profonde qui n’est absolument jamais affectée par le changement ou par la mort. (…) En tibétain, nous l’appelons RIGPA, conscience claire primordiale, pure, originelle, à la fois intelligence, discernement, rayonnement et éveil constant. (…) Ne vous y trompez pas la nature de l’esprit ne se limite pas exclusivement à notre seul esprit. Elle est, en fait, la nature de toute chose. (…)Un bouddha est celui qui a mis un terme définitif à la souffrance et à la frustration, et qui a découvert un bonheur et une paix durables, impérissables. (…)Imaginez un vase vide : l’espace intérieur est exactement identique à l’espace extérieur ; seules les parois fragiles du vase les séparent l’un de l’autre. De la même façon, notre esprit de bouddha est enclos à l’intérieur des parois de notre esprit ordinaire. Mais lorsque nous atteignons l’éveil, c’est comme si le vase se brisait. L’espace « intérieur » se même instantanément à l’espace « extérieur », devant un. Nous réalisons à cet instant que les deux espaces n’ont jamais été séparés ni différents l’un de l’autre, mais ont toujours été semblables.
(…)
Dirigeons donc à présent notre regard vers l’intérieur La différence qu’apport ce léger changement d’orientation est considérable ; elle pourrait même inverser le cours des catastrophes qui menacent le monde. Si un nombre beaucoup plus grand d’individus avaient connaissance de la nature de leur esprit, ils prendraient conscience de la beauté du monde dans lequel ils vivent et se battraient, courageusement et sans plus attendre, pour le préserver. Il est intéressant de souligner que « bouddhiste » se dit nangpa en tibétain, ce qui signifie « tourné vers l’intérieur », celui qui recherche la vérité non pas à l’extérieur mais au sein de la nature de l’esprit. Tout l’entraînement bouddhiste, tous ces enseignements n’ont qu’un seul but : se tourner vers la nature de l’esprit, et ainsi nous libérer de la peur de la mort et nous aider à réaliser la vérité de la vie.
(…)Nous sommes épouvantés à l’idée de regarder en nous-mêmes, parce que notre culture ne nous a donné aucune idée de ce que nous allons y trouver. Nous pouvons même craindre que cette démarche ne nous mette en danger de folie. C’est là l’ultime et ingénieux stratagème de l’ego pour nous empêcher de découvrir notre vraie nature. (…)
Avec la connaissance vient la responsabilité. Parfois, lorsque la porte de la cellule s’ouvre, le prisonnier choisit de ne pas s’évader. (…)
Bien qu’en apparence notre société célèbre la valeur de la vie humaine et la liberté individuelle, elle nous traite en réalité comme des individus obsédés par le pouvoir, le sexe et l’argent, ayant constamment besoin d’être distraits de tout contact avec la mort ou avec la vie véritable. (…)
L’éveil, je l’ai dit, est une réalité. Qui que nous soyons, nous pouvons réaliser la nature de l’esprit et découvrir en nous-mêmes ce qui est immortel et éternellement pur, si nous bénéficions des circonstances appropriées et de l’entrainement adéquat.
Cinq – Ramener l’esprit en lui-même
Voici ce que réalisa le Bouddha : l’ignorance de notre vraie nature est la source de tous les tourments du samsara, et la source de cette ignorance elle-même est la tendance invétérée de notre esprit à la distraction. Mettre fin à cette distraction, c’est mettre fin au samsara lui-même. La solution, comprit le bouddha, était donc de ramener l’esprit à sa vraie nature par la pratique de la méditation. (…)
Apprendre à méditer est le plus grand don que vous puissiez vous accorder dans cette vie. En effet, seule la méditation vous permettra de partir à la découverte de votre vraie nature et de trouver ainsi la stabilité et l’assurance nécessaires pour vivre bien, et mourir bien. La méditation est la route qui mène vers l’éveil.
Dans l’enseignement du Bouddha, trois facteurs font toute la différence entre une méditation qui est seulement un moyen de détente, de paix et de félicité temporaires, et une médita- tion qui peut devenir une cause puissante d’éveil pour soi-même et autrui. Nous les qualifions de « bon au début », « bon au milieu » et « bon à la fin ». (…). Bon au début naît de la prise de conscience que la nature de bouddha est notre essence la plus secrète, ainsi que celle de tous les êtres sensibles.
« Par le pouvoir et la vérité de cette pratique,
Puissent tous les êtres obtenir le bonheur et les causes du bonheur; Puissent-ils être libres de la douleur et des causes de la douleur; (…) »
Bon au milieu est la disposition d’esprit avec laquelle nous pénétrons au cœur de la pratique. Elle est inspirée par la réa- lisation de la nature de l’esprit, d’où s’élèvent une attitude dénuée de saisie, libre de toute référence conceptuelle, et la prise de conscience que toute chose est intrinsèquement « vide », illusoire, chimérique.
Bon à la fin concerne la façon dont nous concluons la médi- tation. Nous dédions ses mérites et prions avec une réelle fer- veur : « Puisse tout mérite obtenu par cette pratique contribuer à l’éveil de tous (…). »
Toute la pratique de la méditation peut se résumer à ces trois points essentiels : ramener l’esprit en lui-même, le relâ- cher et se détendre.
Quand je médite, je suis toujours inspiré par ce poème de Nyoshul Khenpo :
Laissez reposer dans la grande paix naturelle
Cet esprit épuisé,
Battu sans relâche par le karma et les pensées névrotiques, Semblables à la fureur implacable des vagues qui déferlent Dans l’océan infini du samsara.
Demeurez dans la grande paix naturelle.
Soyez avant tout à l’aise, soyez aussi naturel et aussi spacieux que possible.