La quête du féminin dans mes os

Je les ai rassemblés, j’ai trouvé chaque os
Sauf que je ne trouvais pas ma main. Ma main,
C’est ma mère qui l’avait.
Ses mains dures et calleuses qui frappent m’ont tenue
Agrippant mon esprit
Elle a saisi ma main à six ans
L’a dépouillée de son innocence et de sa grâce
Elle a coupé ma main à sept ans
Je l’ai retrouvée dans le lit asséché d’une rivière, pointant vers le nord
Cette main qui a le plus d’os
De fragments d’os, de jointure et d’articulations
Je ne peux pas l’ouvrir
J’ai ma main maintenant
Je peux parler
Je peux prier à nouveau
Je me tourne vers la Déesse et je prie pour le pardon
Elle me dit : « Il n’y a pas de pardon car il n’y a pas de péché »
Elle dépose Dieu au bout de mes doigts
Au bout de mes orteils
Et elle me dit que chacun doit apprendre à prier
A sa manière
A sa manière avec tout, et partout
Je les ai rassemblés, j’ai retrouvé chaque fragment d’os
Chaque partie de moi
Et maintenant je danse en jetant mes os au sol
Comme le Yi king
Comme le Yi king, chaque fois que j’atteins le sol,Je suis autre

Jewel Mathieson
Extrait de la danse des 5 rythmes de Gabrielle Roth

Le livre tibétain de la vie et de la mort – Sogyal Rinpoché

Première partie : La vie

Un – Le miroir et la mort

Deux – L’impermanence

Trois – Réflexion et changement

Réfléchir en profondeur sur l’impermanence comme le fit Krishna Gotami, nous amène à une compréhension intime de cette vérité exprimée avec tant de force par les vers du maître contemporain Nyoshul Khenpo :
La nature de toute chose est illusoire et éphémère,
Les êtres à la perception dualiste prennent la souffrance pour le bonheur,
Semblables à un homme léchant du miel sur le fil d’un rasoir,
Ô combien pitoyables, ceux qui s’accrochent si fort à la réalité concrète : 
Amis de mon coeur, tournez plutôt votre attention vers l’intérieur.
(…) 
Nous pouvons faire de la liberté un idéal tout en demeurant totalement esclaves de nos habitudes.
La réflexion peut pourtant nous amener lentement à la sagesse. Nous pouvons nous apercevoir que nous retombons sans cesse dans des schémas habituels de comportement et aspirer alors de tout notre être à leur échapper. Bien sûr nous y retomberons maintes et maintes fois mais, peu à peu, nous pourrons en émerger et nous transformer. Le poème suivant s’adresse à chacun de nous. Il est intitulé « Autobiographie en cinq actes ».

  1. Je descends la rue,
Il y a un trou profond dans le trottoir : 
Je tombe dedans.
Je suis perdu… je suis désespéré.
    Ce n’est pas ma faute.
    Il me faut longtemps pour en sortir.
  2. Je descends la rue,
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je fais semblant de ne pas le voir.
Je tombe dedans à nouveau.
J’ai du mal à croire que je suis au même endroit.
Mais ce n’est pas ma faute.
Il me faut encore longtemps pour en sortir.
  3. Je descends la même rue,
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je le vois bien..
J’y retombe quand même… c’est de venu une habitude.
    J’ai les yeux ouverts
Je sais où je suis
C’est bien ma faute.
Je ressors immédiatement.
  4. Je descends la même rue.
Il y a un trou profond dans le trottoir :
    Je le contourne.
  5. Je descends une autre rue…

Le but réel d’une réflexion sur la mort est de susciter un changement réel au plus profond de votre coeur, d’apprendre à éviter le « trou dans le trottoir » et à emprunter une autre rue.
(…)
Ce renoncement auquel vous parviendrez vous procurera à la fois tristesse et joie : tristesse en réalisant la futilité de vos comportements passés, et joie en voyant la perspective plus large qui se déploiera devant vous, quand vous serez capable d’y renoncer. Ce n’est pas là une joie ordinaire. C’est une joie qui donne naissance à une force nouvelle et profonde, à une confiance et à une inspiration constante lorsque vous réalisez que vous n’êtes pas enchainé à vos habitudes, mais que vous pouvez vraiment en émerger, changer et vous libérer de plus en plus.
(…)
C’est alors que nous commencerons à goûter, au plus profond de nous, l’exaltante vérité de ces vers de William Blake :
Qui veut lier à lui-même une Joie,
De la vie brise les ailes,
Qui embrasse la Joie dans son vol,
Dans l’aurore de l’Eternité demeure.
(…)
Ainsi chaque fois que les pertes et les déceptions de la vie nous donnent une leçon d’impertinence, elles nous rapprochent en même temps de la vérité. Quand vous tombez d’une très grande hauteur, vous ne pouvez qu’atterrir sur le sol : le sol de la vérité. Et si vous possédez la compréhension née d’une pratique spirituelle, tomber ne constitue en aucun cas un désastre mais, au contraire, la découverte d’un refuge intérieur.
(…)
Si vous y regardez de plus près, rien ne possède d’existence intrinsèque. C’est cette absence d’existence indépendante que nous appelons « vacuité ». (…)
C’est ce que nous entendons lorsque nous disons que les choses sont vides, qu’elles n’ont pas d’existence indépendante.
(…)
Si nous portons un regard véritable sur nous-même et sur les choses qui nous entourent et qui, jusqu’alors, nous paraissaient si certaines, si stables et si durables, nous nous apercevons qu’elles n’ont pas plus de réalité qu’un rêve. Le Bouddha a dit :
Sachez que toutes choses sont ainsi :
Un mirage, un château de nuages,
Un rêve, un apparition,
Sans réalité essentielle : pourtant leur qualités peuvent être perçues.
(…)
La vraie spiritualité consiste à être conscient du fait que, si une relation d’interdépendance nous lie à chaque chose et à chaque être, la moindre de nos pensées, paroles ou actions aura de réelles répercussions dans l’univers tout entier. (…) Tou est inextricablement lié. Nous en viendrons à comprendre que nous sommes responsables en fait de nous-mêmes, de tous les êtres et de toutes les choses, ainsi que de l’univers entier.

Quatre – La nature de l’esprit

Parmi les nombreux aspects de l’esprit, on en distingue plus particulièrement deux. Le premier est l’esprit ordinaire, que les tibétains appellent SEM. Un maître le définit ainsi : « cela même qui est doté d’une conscience discriminante, cela qui possède un sens de la dualité – qui saisit ou rejette ce qui est extérieur à lui : tel est l’esprit. Fondamentalement, il est ce que l’on associe à l’autre – tout objet différent de celui qui perçoit. » Sem est l’esprit discursif, dualiste, l’esprit qui pense, qui ne peut fonctionner qu’en relation avec un point de référence extérieur projeté par lui et faussement perçu. (…)Le deuxième aspect est la nature même de l’esprit, son essence la plus profonde qui n’est absolument jamais affectée par le changement ou par la mort. (…) En tibétain, nous l’appelons RIGPA, conscience claire primordiale, pure, originelle, à la fois intelligence, discernement, rayonnement et éveil constant. (…) Ne vous y trompez pas la nature de l’esprit ne se limite pas exclusivement à notre seul esprit. Elle est, en fait, la nature de toute chose. (…)Un bouddha est celui qui a mis un terme définitif à la souffrance et à la frustration, et qui a découvert un bonheur et une paix durables, impérissables. (…)Imaginez un vase vide : l’espace intérieur est exactement identique à l’espace extérieur ; seules les parois fragiles du vase les séparent l’un de l’autre. De la même façon, notre esprit de bouddha est enclos à l’intérieur des parois de notre esprit ordinaire. Mais lorsque nous atteignons l’éveil, c’est comme si le vase se brisait. L’espace « intérieur » se même instantanément à l’espace « extérieur », devant un. Nous réalisons à cet instant que les deux espaces n’ont jamais été séparés ni différents l’un de l’autre, mais ont toujours été semblables.
(…)
Dirigeons donc à présent notre regard vers l’intérieur La différence qu’apport ce léger changement d’orientation est considérable ; elle pourrait même inverser le cours des catastrophes qui menacent le monde. Si un nombre beaucoup plus grand d’individus avaient connaissance de la nature de leur esprit, ils prendraient conscience de la beauté du monde dans lequel ils vivent et se battraient, courageusement et sans plus attendre, pour le préserver. Il est intéressant de souligner que « bouddhiste » se dit nangpa en tibétain, ce qui signifie « tourné vers l’intérieur », celui qui recherche la vérité non pas à l’extérieur mais au sein de la nature de l’esprit. Tout l’entraînement bouddhiste, tous ces enseignements n’ont qu’un seul but : se tourner vers la nature de l’esprit, et ainsi nous libérer de la peur de la mort et nous aider à réaliser la vérité de la vie.
(…)Nous sommes épouvantés à l’idée de regarder en nous-mêmes, parce que notre culture ne nous a donné aucune idée de ce que nous allons y trouver. Nous pouvons même craindre que cette démarche ne nous mette en danger de folie. C’est là l’ultime et ingénieux stratagème de l’ego pour nous empêcher de découvrir notre vraie nature. (…)
Avec la connaissance vient la responsabilité. Parfois, lorsque la porte de la cellule s’ouvre, le prisonnier choisit de ne pas s’évader. (…)
Bien qu’en apparence notre société célèbre la valeur de la vie humaine et la liberté individuelle, elle nous traite en réalité comme des individus obsédés par le pouvoir, le sexe et l’argent, ayant constamment besoin d’être distraits de tout contact avec la mort ou avec la vie véritable. (…)
L’éveil, je l’ai dit, est une réalité. Qui que nous soyons, nous pouvons réaliser la nature de l’esprit et découvrir en nous-mêmes ce qui est immortel et éternellement pur, si nous bénéficions des circonstances appropriées et de l’entrainement adéquat.

Cinq – Ramener l’esprit en lui-même

Voici ce que réalisa le Bouddha : l’ignorance de notre vraie nature est la source de tous les tourments du samsara, et la source de cette ignorance elle-même est la tendance invétérée de notre esprit à la distraction. Mettre fin à cette distraction, c’est mettre fin au samsara lui-même. La solution, comprit le bouddha, était donc de ramener l’esprit à sa vraie nature par la pratique de la méditation. (…)
Apprendre à méditer est le plus grand don que vous puissiez vous accorder dans cette vie. En effet, seule la méditation vous permettra de partir à la découverte de votre vraie nature et de trouver ainsi la stabilité et l’assurance nécessaires pour vivre bien, et mourir bien. La méditation est la route qui mène vers l’éveil.

Dans l’enseignement du Bouddha, trois facteurs font toute la différence entre une méditation qui est seulement un moyen de détente, de paix et de félicité temporaires, et une médita- tion qui peut devenir une cause puissante d’éveil pour soi-même et autrui. Nous les qualifions de « bon au début », « bon au milieu » et « bon à la fin ». (…). Bon au début naît de la prise de conscience que la nature de bouddha est notre essence la plus secrète, ainsi que celle de tous les êtres sensibles.

« Par le pouvoir et la vérité de cette pratique,
Puissent tous les êtres obtenir le bonheur et les causes du bonheur; Puissent-ils être libres de la douleur et des causes de la douleur; (…) »

Bon au milieu est la disposition d’esprit avec laquelle nous pénétrons au cœur de la pratique. Elle est inspirée par la réa- lisation de la nature de l’esprit, d’où s’élèvent une attitude dénuée de saisie, libre de toute référence conceptuelle, et la prise de conscience que toute chose est intrinsèquement « vide », illusoire, chimérique.
Bon à la fin concerne la façon dont nous concluons la médi- tation. Nous dédions ses mérites et prions avec une réelle fer- veur : « Puisse tout mérite obtenu par cette pratique contribuer à l’éveil de tous (…). »

Toute la pratique de la méditation peut se résumer à ces trois points essentiels : ramener l’esprit en lui-même, le relâ- cher et se détendre.

Quand je médite, je suis toujours inspiré par ce poème de Nyoshul Khenpo :
Laissez reposer dans la grande paix naturelle
Cet esprit épuisé,
Battu sans relâche par le karma et les pensées névrotiques, Semblables à la fureur implacable des vagues qui déferlent Dans l’océan infini du samsara.

Demeurez dans la grande paix naturelle.
Soyez avant tout à l’aise, soyez aussi naturel et aussi spacieux que possible.

Femmes, je vous aime

Scène 55 – abonnement 2022-2023
Je n’ai pas vraiment choisi les pièces, je n’ai pas eu le temps.
J’ai déjeuné avec mon amie Noëlle, dont c’est la passion et qui connaît bien le directeur de Scène 55, je lui ai demandé sa sélection et ce qu’il y avait à voir cette année.
J’ai dessiné l’intersection entre les spectacles identifiés et ma présence à Valbonne, hors jours de formation et supervision et j’ai rempli mon bulletin d’abonnement, dont certains spectacles, choisis avec modération, avec mes enfants, adolescents, qui râlent copieusement lorsque je les emmène, manu militari à Scène 55. Ils en ressortent toujours plutôt heureux « je reconnais que c’était bien ».
A mon retour, après une semaine d’absence (formation et retraite à Lerab Ling), je découvre dans mon agenda papier (je résiste à « l’ agenda-googlelisation » de mes journées, demandée par Nicolas, le papa de mes enfants) une pièce de théâtre « Alabama Song », du nom de la très belle chanson des Doors. Aucune idée de ce que cela peut bien être.Cela commence dans la pénombre avec une lumière blanche plantée sur une femme assise à même le sol dans un peignoir vert de gris : « je n’ai pas peur du feu, je suis une salamandre, le traverse le feu sans me brûler. » Cette femme mourra brûlée dans cet hôpital psychiatrique, fenêtres et porte fermées à clé, prisonnière du feu, comme les sorcières l’étaient quelques siècles auparavant. Cette femme est Zelda Fitzgerald, la femme de Francis Scott Fitzgerald.« Son histoire incarnée passionnément par Lola Naymark, révèle une femme sacrifiée, écrivaine pillée par son “créateur”, séparée de sa fille, danseuse assoiffée et infatigable, personnage brut, qui transperce l’air, elle donne le la, jazzy, de ces Années folles et des soirées jet-set new-yorkaises. Une confession en forme d’uppercut de la femme artiste, trop vite enfermée, trop tôt disparue. Zelda, femme flamme, étincelle créatrice trop tôt éteinte. Héroïne magnifique et tragique. Véritable salamandre ici retrouvée. »
Uppercut oui, percutée de plein fouet avec mon histoire, celle des femmes de ma lignée paternelle, dîtes folles et irresponsables et de ma lignée maternelle, guérisseuses et sorcières, toutes femmes indépendantes et vivantes.
Honte aux hommes qui ont transformé les femmes en femmes-objet, se permettant de les piller, de les violer maritalement, de les faire passer pour irresponsables, volages, pour folles. Pauvres femmes sans liberté réelle d’action, enfermées, séparées de leurs enfants, brûlées…
Nettoyer, guérir, réhabiliter.
Beau rituel ce soir à la danse des 5 éléments. Sur une playlist en lien avec la thématique. Rebecca a fondu en larmes sur Mesdames de Grand Corps Malade et son si bel hommage aux femmes.
Nous avons écrit tout ce qui nous colle à la peau, nous empêchant d’être femme, vivante, pleine et entière, nous avons écrit ce qui colle à la peau des femmes depuis des centaines d’années, sorcières, hystériques…
C’était magnifique ce mur de post it, tout autour de Tara Blanche.
J’ai tout récupéré et brûlé, nettoyant ainsi, au moins un peu, l’histoire des femmes guérisseuses, des femmes créatives, des femmes indépendantes, des femmes femmes…

Le moment est venu…

Cela vous est certainement déjà arrivé, de vivre des journées, où tout semble « déglingué », dans le sens déréglé. Comme si un des curseurs des normes qui rythment notre vie avait perdu le nord. Je m’explique. Lorsque vous vous levez le matin, vous avez le plus souvent un certain nombre de choses prévues : une journée de travail, un enfant à récupérer à l’école, un rendez-vous chez un thérapeute, un échange avec une personne de votre entourage.
Et puis, dans une journée vous avez un pourcentage assez faible d’imprévu, voire d’incongru ou même d’insoupçonné. Et bien, certains jours, les aiguilles des appareils qui seraient susceptibles de mesurer ces pourcentages d’inattendus, s’affolent.
C’est exactement ce qu’il m’est arrivé avant-hier. C’était un mardi. Pour lancer les hostilités, je suis habituellement sur le site de mon lieu de travail le mardi et j’étais exceptionnellement en télétravail.
Un déjeuner s’était improvisé dans notre lieu favori d’échanges, à mon ami Daniel et à moi, Un moment chez Mémé.
Sandra avait également prévu de venir à la maison pour prendre des mesures de mon lieu de vie. Sandra est une personne que j’ai accompagné en coaching pendant une petite année, et qui est devenue une amie. Nous avons entre autre travaillé avec un outil qui s’appelle l’Ikigaï et dont il a émergé la possibilité pour Sandra, de se former, puis de travailler, sur l’interaction des personnes avec leur lieu de vie, grâce au Feng Shui. Elle se forme assidûment et part dans moins d’un mois en Malaisie pour approfondir ses connaissances avec le Feng Shui des empereurs. Elle passerait donc chez moi une partie de l’après-midi, avec sa boussole géante, une oeuvre d’art à elle seule, à prendre des mesures. Nous aurions ensuite un échange sur ce qu’elle avait déjà pu relever d’important sur mon lieu de vie.
Reprenons chronologiquement. Je télétravaillais tranquillement quand mon téléphone sonne une première fois. Anita, ma cousine au second degré (son grand-père était le frère de ma grand-mère maternelle). Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas parlées. Je ne réponds pas. Une demie heure plus tard, mon téléphone sonne à nouveau. Anita. Sa mère, Raymonde est âgée et je me dis qu’il lui est peut-être arrivé quelque chose et qu’elle veut me parler de vive voix. J’attends quelques secondes puis je me résous à décrocher.
Tout va bien. Elle n’a plus de forfait et ne peut plus laisser de messages vocaux sur WhatsApp ou autre. Alors, elle m’appelle, suite à une question que je lui ai posée. J’hésite à écourter la conversation, moi qui n’affectionne pas le téléphone mais je finis par faire le deuil de ma prochaine demie heure de travail et je m’assieds dans le canapé pour l’écouter.
Ma question était la suivante : «  ma grand-mère, Marie-Antoinette, avait fait une séance de spiritisme lorsqu’elle était jeune, qu’elle m’avait racontée, en me disant que cela l’avait effrayée et qu’elle n’avait plus jamais recommencé. Le guéridon sur lequel les personnes présentes avaient leurs mains, l’avaient désignée et s’était mis à la poursuivre à travers la pièce. Elle avait voulu sortir et la poignée de la porte ne répondait plus… Anita, ou sa maman, savait-elle avec qui ma grand-mère avait pratiqué ce genre de choses ? ».
Raymonde se souvenait très bien de cette histoire mais pas contre, aucune idée des circonstances exactes de cet événement.
Nous avons continué à parler. Nous en sommes arrivées à ce qui nous relie, son grand-père, ma grand-mère, et leurs deux soeurs, Madeleine et Colette.
Tous les étés, quand j’étais enfant, j’allais passer un mois d’été à Précigné, dans la Sarthe avec tante Madeleine, tante Colette (qui sont en fait mes grand-tantes) et ma grand-mère qui nous rejoignait pour l’occasion depuis Versailles, où elle vivait. Ma grand-mère avait changé de milieu social par rapport au reste de sa famille, enlevée par mon grand-père qui était tombé amoureux de la préceptrice d’amis de ses parents (ma grand-mère servait chez son propre oncle, dessinateur humoristique réputé, mais c’est une autre, bien belle, histoire). Mes deux tantes étaient restées dans la campagne, mariées et sans enfant. Je débarquais chaque été dans une vie totalement différente de la mienne, privée de mon confort habituel, sans interaction avec d’autres enfants pendant un mois. Nous logions ma grand-mère et moi chez ma tante Colette et son mari Riton, dans la minuscule dépendance d’une maison cossue, plus précisément dans une petite pièce avec deux lits simples superposés. Pas de toilettes dans la maison, il fallait aller dans le jardin, au milieu des herbes hautes, on m’avait appris à taper dans les mains pour éloigner les vipères, ou utiliser les seaux dédiés à cet effet. Ma tante Colette était grenouille de bénitier et nous alliions chaque soir, toutes les deux, donner un coup de balais dans l’église et fermer à clé. Je me souviens de l’odeur et de la joie de ce vaste espace à disposition. Elle était également couturière. Et surtout, elle était coupeuse de feu. Elle était complètement atypique et ma maman l’adorait.
Anita, toujours au téléphone, embraye sur Colette : « tu sais qu’elle était coupeuse de feu, et que l’on venait de tout le canton pour la voir ? Et je ne suis pas certaine que tu saches à qui elle avait passé son don ? – non, je ne sais pas et je me souviens avoir demandé à ma mère – et bien justement, la seule personne à qui elle a transmis son don est ta maman. » Frissons partout. « Quoi, ? Mais ce n’est pas possible, elle ne m’en a jamais parlé. » Il faut dire que ma mère était partie pour consacrer sa vie à Dieu, et au moment où elle allait prononcer ses voeux, semi-recluse dans un couvent d’ursulines, elle était tombée gravement malade et avait été sortie du couvent. Bien qu’elle eut pris du recul par rapport à la religion, que ses origines bretonnes l’aient habituée au synchrétisme entre catholicisme et paganisme, avec notamment la prière aux saints, elle avait dû juger que c’était exagérer que de cautionner ces pratiques un peu occultes, ces tours de sorcières. Et elle avait oublié. Anita savait que ma mère avait oublié.
Et il me revient cette magnifique citation de Tolkien dans le Seigneur des anneaux, «  Le monde a changé. Je le vois dans l’eau, je le ressens dans la terre, je le sens dans l’air. Beaucoup de ce qui existait jadis est perdu, car aucun de ceux qui vivent aujourd’hui ne s’en souviennent. »
« Tu sais, Anita, je vais passer un week-end, le week-end de Pâques, avec un guérisseur pour « apprendre » à enlever le feu, les maladies de peau. C’est là depuis tellement longtemps en moi, que j’ai fini par franchir le cap. Et ce que tu m’apprends aujourd’hui, vient légitimer cette démarche. Je suis la seule dépositaire de ce don. »
Les mots ont été perdus mais l’énergie de transmission est là, je la sens. Et puis, du côté de mon père nous avons également des textes de guérisseuses « Elle a laissé dans le pays la réputation bien établie d’une sainte et celle de guérir les fièvres paludéennes du Forez, en concurrence avec la fontaine miraculeuse de la chapelle souterraine de Saint Jean Soleymieux ».
Mais l’heure était au déjeuner chez Mémé et, avant d’entrer dans le lieu, Daniel m’offre un livre. Cela n’arrive que très rarement et le choix est généralement finement mûri « Le grand livre des guérisseuses », avec une énorme main orange sur la couverture. Je demeure interloquée, Daniel, mon ami le plus rationnel, extrêmement cultivé, ex-chef d’entreprise, Daniel, celui qui analyse tout et laisse peu de choses au hasard, et qui tout en même temps m’entend prêcher depuis des années, m’offre un livre sur les guérisseuses. Nous nous attablons et je lui explique ce qui vient de m’arriver, et l’incroyable concordance de son présent.
En fin de journée, j’apprendrai que tout ce que j’avais planifié et mis en place depuis plus d’un mois, méticuleusement organisé pour parvenir à me libérer 8 jours, dont 3 jours pleins de « retraite », de pause, à Lerab Ling, un monastère tibétain au-dessus de Montpellier. tombait à l’eau. Impossible de séjourner sur place avant ma formation, possible par contre après. Il me faudrait donc défaire pour tricoter différemment, ce que je ferai. Et le même jour, je trouve dans ma boîte aux lettres, commandé d’occasion, « Le livre tibétain de la vie et de la mort », écrit par le Rinpoché qui a créé Lerab Ling. Livre qui sera rapidement une base d’échanges sur le bouddhisme tibétain. et la mise en lumière de ce qui était jusqu’à très récemment, gardé secret.
Et s’il me fallait résumer les messages de cette journée pas comme les autres, cela pourrait donner « légitimité à guérir, déterrer ce qui a été occulté, mettre à la lumière, sans négliger l’importance des lieux et de la transmission, de la communauté, en accueillant les imprévus. »
Certaines journées sont comme des révélateurs intenses, permettant de soulever momentanément le voile de notre aveuglement, de nos habitudes, de notre routine pour laisser apparaître ce qui a été perdu, caché, oublié, pour nous laisser entrevoir ce qui est, et doit être. Des moment de grâce, des cailloux blancs sur notre chemin.
Merci pour cela.