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L’espace s’est ouvert et le blanc est entré

A l’âge de 30 ans, j’ai commencé une analyse jungienne, et j’ai plongé dans le monde des rêves.
Un monde si proche et tout en même temps, tellement imprévisible et étranger. Quoi de plus étonnant, inattendu, détonant, que le fait de rêver? Tellement en rupture avec notre quotidien…
Ce monde des rêves nous offre en tout cas une aventure, chaque nuit renouvelée, dont cette partie de nous que nous ne connaissons pas, aveugles de naissance que nous sommes, est l’héroïne.

Fin mars 2024, temple bouddhiste tibétain de Lerab Ling – Roqueredonde – France.
Tout est rêve. Quel est ce monde ? D’où vient ce qui a conscience en moi ? Etait-ce là avant moi ? Cela me survivra-t-il ? Et d’ailleurs, qui est « moi », si je retire ce qui me définit, travail, apparence, interactions… ?
Dans ce contexte suspendu, je note mes rêves.

Valbonne, jeudi 18 avril 2024.
De temps en temps, je prends une séance avec une psychanalyste jungienne, une femme merveilleuse, en tout cas, une femme qui me correspond, merci Christine.
Hier après-midi, nous avions une séance programmée, après deux mois d’interruption.
En début d’après-midi, un bel orage interrompit le beau et le chaud, saupoudrant tous les sommets alentours, de blanc. C’est tellement rare, surtout en avril.
Je suis le lien zoom envoyé par MD et me connecte à mes rêves que j’ai relus juste avant. Nous parlons.
Je lis un premier rêve, puis je raconte l’oiseau contre le mur de la cabane en bois à Lerab Ling, et son envol, ce passage qui semble ne par appartenir à notre réalité, bien que vécu en son sein. Cet être de l’air qui se heurte à la matière, à la densité, alors que tout alentours n’est que lumière.
C’est alors que le ciel se déchire, comme si les mondes, l’espace d’un instant, se mélangeaient, nous laissant sans dessus dessous.
Le ciel crache des millions de billes de glace, sur la terrasse, sur le toit de la véranda, qui devient assourdissant, sur Maya, qui rentrera en trombe en fin de séance, à l’abri.
Le temps s’arrête, l’espace s’ouvre, le flux continu de mes pensées suspend son cours, nos échanges s’interrompent.
Tout est blanc, glacé, translucide. Le froid est palpable, le silence profond, ma gratitude infinie pour ce moment suspendu et précieux.
Je reconnais ce blanc, qui avait arrêté la vie autour de moi il y a une douzaine d’années, paralysant la côté d’azur pendant plusieurs jours, alors que mon marchant de pommes prenait la route du retour et que mes enfants ne pouvaient pas rentrer du ski.
Je reconnais ce blanc qui peuple mes rêves. Je reconnais ce blanc qui appartient aux noms que je reçois. Je reconnais le voile de la femme blanche. Je reconnais ce blanc souverain.
Et je remercie.
Un dernier rêve , comme une injonction, « tu dois créer ton école ».
Fin de la séance.
La frontière entre réalité et rêve se forme à nouveau, la dualité reprend sa place habituelle, le monde se referme.
Prisme arc en ciel sur un morceau de glace qui bientôt sera à nouveau eau.


29 février 2024

Ce jour qui n’apparaît que de temps en temps dans notre calendrier, ouvre possiblement une lucarne sur une perception autre.
Ce matin, en laissant un vocal à mon ami Jérôme dont c’est l’anniversaire, j’ai l’impression d’un jour hors du temps, d’un jour qui n’existe pas. Ce matin, en ouvrant mes volets et en m’étirant entre le ciel et la terre, dans l’air encore dense des gouttes d’eau de la veille, empli de chants d’oiseaux, je ressens une réalité différente.
Cela me donne l’envie de retracer ces quelques derniers jours avec un regard différent, un regard « peuple premier ».

Un rêve pour commencer. 1er février 2024.
Je vole, en position horizontale au dessus de la terre, je n’ai pas d’aile. J’ai par contre des bandelettes blanches entourées autour de mes jambes. Elles partent des pieds et remontent jusqu’en haut des cuisses. Elles commencent à se défaire et c’est embêtant car ce sont elles qui me permettent de voler. Mes jambes doivent être recouvertes.
J’ai mon portefeuille avec moi. Il tombe. Je regarde en bas. Une grande faille. Je sais que je ne pourrai jamais le récupérer. J’ai tout à l’intérieur, ma carte d’identité, ma carte bleue…
Je suis avec un groupe emmené par une femme et nous faisons une pause dans une cabane en bois, dans les airs. J’en profite pour enrouler à nouveau les bandelettes autour de mes jambes. Je n’ai pas très envie de repartir mais je sais que le vol est encore long et que nous n’avons pas le choix.
Maya est avec moi, je lui demande si elle a le numéro de téléphone de ma mère (il semble que j’ai également perdu mon téléphone.). Elle me répond « oui ». « Peux-tu lui envoyer un message : « je pense à vous et je vous aime » ? ». Je me fais la réflexion suivante : c’est étonnant, c’est inversé, c’est moi qui suis au ciel et eux sur terre.
A partir de maintenant, c’est comme si je passais en caméra extérieure. Je ne vis plus les choses de l’intérieur, je les vois.
Paysage de neige, un descente avec des arbres autour. Deux corps qui dévalent la pente. Atterrissage trop rapide. Un des corps heurte même une pierre. Je sais qu’une des deux personnes est moi.
A nouveau changement de décor. Une église, que je connais, on nous applaudit. Sommes-nous mortes ?

Un scarabée dans le jardin quelques jours avant, en plein hiver. Le lendemain, départ pour Paris avec Maya. Nous irons avec mon la marraine de Maya et avec ma filleule faire un exposition sur l’Egypte (non planifiée au moment du rêve, nous serons à l’ouverture de l’exposition) dans laquelle il nous faudra enrouler des bandelettes autour d’un mannequin, pour identifier un mot…

Passent 3 semaines.
Mes enfants sont au ski, protégés par une bulle d’amour.
Grosse journée hier pour moi, avec un aller-retour en avion sur Toulouse. Je pars très tôt le matin car il me faut passer par Paris.
Moon, notre petite chatte, me réveille en pleine nuit et m’apporte sa chasse de la nuit (c’est heureusement assez rare). La dernière fois, je l’ai sortie dehors avec sa souris dans la gueule. Elle m’entend bouger dans un demi-sommeil, peut-être se dit-elle que je vais à nouveau la mettre dehors et elle redescend. Il ne me reste que peu de temps à dormir, je mets un bouchon dans une oreille et me couche sur l’autre.
Le réveil sonne. J’allume la lampe pierre de sel et dans toute la chaleur de son éclairage, je découvre le long de mon lit, un parterre de plumes et un petit rouge gorge étendu. Moon ne nous a rapporté qu’une seule fois un oiseau. C’est le deuxième.
Assise en tailleur sur mon lit, l’espace d’un instant, qui peut durer une éternité, je n’ai que peu de temps, plongée dans la scène, je m’interroge. Dois-je y voir un mauvais présage, en lien avec mon rêve ? Un avertissement ? Ne pas prendre l’avion. Annuler ma journée ?
Je décide de me préparer et partir. La vie m’indiquera tout changement de direction, et si c’est mon heure, rien n’y fera.
Aéroport de Nice, je retrouve deux collègues. Accueillie dans l’avion par Cyrille, que je connais bien. Il m’apporte un sac empli de douceurs à grignoter et me propose de passer la deuxième partie du vol dans le cockpit. J’accepte avec joie. Vue à 180°, ciel dégagé. Les pilotes sont très agréables et le capitaine décide de passer en pilotage manuel. L’atterrissage se fera en douceur. Douceur ouatée des quelques nuages traversés, douceur de la lune présente dans la vitre située à ma gauche, douceur de l’improbable réalisé… comme une perméabilité entre le rêve et la réalité.
Les peuples premiers sont habitués à naviguer entre les mondes et c’est ce que je ressens profondément à ce moment d’interconnexion.
Et si je pousse encore un peu plus loin ma vue « primitive », une offrande a été faite, le matin même de mon départ, par l’intermédiaire de mon chat, pour que mes trajets aériens se passent au mieux.
A chaque instant, le voile de notre réalité peut se déchirer, laissant apparaître l’absolu, la perfection, l’ordre des choses… Christian Bobin, lui qui en parle si bien, l’aurait nommé Dieu.
Comme dans la brèche de mon rêve, celle dans laquelle je perds mon identité, le monde peut s’ouvrir, à tout moment…

J’ai reçu une éducation scientifique, j’ai fait mon mémoire sur la géométrie de Lobatchevski, qui pose les bases d’un monde dans lequel deux droites parallèles se coupent à l’infini, un monde qui n’a absolument rien à voir avec le monde dans lequel nous avons coutume de vivre, formaté par les axiomes de la géométrie euclidienne…
Il n’y a pas de vérité absolue, il n’y a que des modélisations sur lesquelles nous nous entendons, dans un consensus qui semble donner les contours de notre univers.
Nos rêves, nos intuitions, les synchronicités qui jalonnent notre chemin, ne sont-ils pas autant d’invitations à changer notre regard ?
Non pas dans une direction précise, plutôt qu’une autre, mais plutôt à élargir notre vue. Sans rejeter l’une ou l’autre, mais en les intégrant, et en ouvrant encore plus largement notre regard.

J’ai enterré l’oiseau, doux et coloré, et l’ai accompagné par un rituel.
Les plumes sont encore là.
J’avais un avion à prendre.
No tiempo.

Il était une fois, dans la ville de Foix, une marchande de foie…

Deharadun novembre 2019, une femme sans âge, aux yeux pétillants, tibétaine, médecin, me reçoit en consultation. Elle prend mon pouls. Diagnostic immédiat. Le foie et la rate, encombrés, à nettoyer. Elle me demande si je bois, non. Si je mange gras, pas particulièrement. Mon seul excès, le chocolat. Excessivement.
Et pour la petite histoire, elle me prescrit d’incroyable pilules faites à base de plante, à Dharamsala, sous l’égide et la bénédiction du Dalaï lama. Tellement mauvaises au goût ! A prendre plusieurs fois par jour… Inimaginable tant que pas ingéré !
Jamais on ne m’avait parlé de mon foie. L’organe de la colère.
Je m’interroge. Je ne mets pas en colère. Elle a dû se tromper….
Bien sûr, cela chemine. Moi, je ne me mettrais pas suffisamment en colère ? Ou plutôt, je ne parviendrais pas à lâcher-prise sur des sujets qui me minent de l’intérieur, et sur lesquels je ne peux rien. Noyée dans l’incompréhension du fonctionnement du monde et de ses habitants. Comment vivre sur une planète où des enfants meurent de faim alors que d’autres se repaissent de superflu ?

Valbonne, 24 février 2024. Pleine lune. Travail sur l’organe du foie en qi gong hier. J’appuie à nouveau sur ces points douloureux autour des yeux. Et je peux sentir toute cette colère refoulée, elle remonte, elle est là, et peut enfin s’écouler doucement. Elle se transforme rapidement en tristesse.
Tristesse de ce qui aurait pu être, qui n’a pas été., qui ne sera jamais. Le laisser partir, simplement. Le lâcher.
Je vois tout ce gâchis, tout ce gâchis de vie, toute cette beauté, tout ce potentiel, piétinés, saccagés… Cette nature merveilleuse, tellement précieuse, les animaux, les arbres, les fleurs, la beauté inimaginable d’une simple feuille.
Comment ne pas en prendre soin ?
Comment ne pas en prendre soin ?
Et cela crie, cela hurle à l’intérieur de moi.
Un animal, comment lui faire du mal ? Comment est-ce possible ? Que ce soit l’éléphant majestueux et sacré ou l’araignée.
Et comment aller jusqu’aux enfants, aux femmes, à chaque être humaine… C’est trop.
Les mots sont à leur limite.
Hurler d’incompréhension et enfin laisser la tristesse s’écouler.
Laisser s’écouler et lâcher.
Libérer mon foie.

Libérer mon foie, garder la foi.
Phrases toutes faîtes ! La foi, je l’ai vue dans les yeux bleus et le regard lumineux de ma mère. Ce ‘n’est pas son foie qui était en souffrance mais ses reins. Son coeur et ses reins.
La foi, je ne me la suis jamais vraiment autorisée. Alors je risque pas de la garder. Je découvre aujourd’hui que cela peut être un chemin. Cela ne relève pas que de l’innée.
La foi peut s’acquérir. Et ça, aujourd’hui, j’y crois. Et je chemine vers. C’est certainement un chemin de vie.
Vivre avec la foi.
Le colibri.
Aller encore et encore nettoyer, accompagner, chacune et chacun sur son chemin d’humanité.

Les tribulations du moi qui croyait être lui

Je descends de ma mezzanine, mes pieds nus sur le bois nu de l’escalier, puis sur celui du parquet, 7:00, j’ouvre les volets, en bois eux aussi. L’extérieur me saisit, la fraîcheur de l’air, les lattes de la terrasse encore imprégnées de nuit sous mes pieds, le chant des oiseaux, celui corbeau en solo, le clair de jour témoin du réjouissant allongement des journées. Les cloches du village entament leur première volée, portée par la vaste symbolique du 7 spirituel.
Je regarde le monde, je respire le monde, j’entends le monde, je ressens le monde… l’espace d’un instant, je deviens le monde.
Tout frémit de gratitude à l’intérieur de moi.
Et plus profond encore, tout à l’intérieur, vibrant, quelque chose qui sait intuitivement que le monde est autre, dans cette interconnexion de toute chose.
Je laisse mon corps et mon esprit se dilater dans cette immensité dont les limites se dissolvent tranquillement.
En cet instant, je peux sentir la fragilité de notre représentation, ce consensus, transmis de génération en génération, dans lequel nous évoluons, dans une division et une exclusion maladives, alors que tout est relié et intriqué, des racines les plus lointaines des arbres, à chacun des êtres vivants, pris individuellement.
Nous nous définissons des oripeaux de nos expériences accumulées, comme un vêtement de fortune, fait de bric et de broc, rapiécé cent fois, déchirure après déchirure… perdus dans le dédale de nos prises de conscience successives, croyant enfin être sur le bon chemin… jusqu’à un jour, peut-être, lassés d’errer, laisser notre vieux manteau, sortir du labyrinthe par le haut et oser être.

To Be Continued


Du corps à l’éther

Réveil sous la blanche lumière de la lune, à ce moment où les rayons du soleil naissant sont encore suffisamment timides pour nous permettre de profiter pleinement des deux énergies, lunaire et solaire.
Les oiseaux et leur chant presque printanier s’invitent eux aussi dans ma mezzanine.
Posée là, un thé chaud à mes côtés, je me relie à ce grand besoin de nettoyage intérieur que je traverse en ce moment. Cela passe par mes yeux. Comme si mon regard ne pouvait plus être le même. Comme une plume dans mon oeil droit. Je vois le monde, et tout en même temps, je vois en premier plan ma cornée et ses impuretés, invisible, puisque propre, habituellement.
Et tout en même temps, paradoxalement, ma densité disparaît et se remplit du chant des oiseaux, des feuilles des arbres, du bleu du ciel…
Il ne reste que les contours de mon corps, aussi fragiles et fins, discrets, qu’une feuille de papier d’Arménie.
Quelle douce sensation que celle de s’effacer pour n’être qu’un chant d’oiseau, un souffle…

Coeur de femmes

Cette intuition, devenue évidence, créer un espace-temps pour les femmes. Non pas un cercle de femmes, non pas des rencontres de pleines lunes, non pas des soirées tricot… non pas… mais en fait, si, tout cela en même temps, et plus encore.

Je lance la lune blanche, cercle sacré, depuis Gwendolyn, ce prénom qui m’accompagne, si celte, si blanc.
Et dans ce cercle, des femmes avancées sur le chemin, des sages, et aussi, des femmes qui recherchent la transmission des abuelitas…
Un dissonance… je change la date, cela ne suffit pas… j’en parle avec différentes amies… je ressors le livre de la danse des grand-mères… je sens que la clé est là.
Autre chose est en train d’émerger… un coeur, un noyau, un centre, composé de femmes mûres, chacune avec son chemin de vie, ses cicatrices, ses potions magiques et ses pouvoirs secrets, chacune avec sa médecine, faite de ses blessures soigneusement cautérisées et transformées en force nouvelle…
Il est temps de nous regrouper et de former un noyau central pour essaimer plus grand et plus fort, plus juste, pour être ensemble et pour plus largement rayonner…
Regroupons-nous, rencontrons-nous, enrichissons-nous mutuellement, co-créons, co-construisons, co-animons… et transmettons, que nos cercles concentriques, co-spiralés, s’agrandissent, et essaiment de femme en femme.

Pour une femme, obtenir la connaissance souhaitée, la mettre en oeuvre et le montrer, se révèle parfois dans cette période de changements majeurs un acte de défiance, mais surtout, c’est un acte de bravoure, c’est à dire un acte de création primordiale en dépit de l’incertitude et de l’absence de sécurité, un acte qui rassemble la vie de l’âme et la miséricorde, un acte d’amour.
Le fait qu’au cours du processus d’acquisition de la sagesse, une femme soit constamment en train de ré-enraciner dans la vie de son âme constitue un acte suprême de libération.
Apprendre aux jeunes à faire de même – et par « jeunes » il faut entendre toutes les personnes qui en savent moins et sont moins expérimentées qu’elle – est l’acte le plus radical, le plus révolutionnaire. Pareil enseignement a une grande portée, il fait don de la vraie vie au lieu de rompre la ligne matrilinéaire de la femme sauvage et sage, l’âme sauvage et sage.
Clarissa Pinkola Estès – La danse des grand-mères

Alors voilà, ma proposition est une douce intrication féminine, faite d’un noyau qui co-construit et co-anime, se mêlant à un cercle, plus large, fait des grand-mères et des plus jeunes, toutes dansant et chantant, filant et transformant, en même temps…
Nous pouvons animer à 2 ou à 3, puis passer le relais, au gré des thèmes, des outils, des saisons… Toutes sont les bienvenues à tout moment à la large lune blanche des femmes…

Les abuelitas : les petites grand-mères.
La vieille femme mythique.
En quoi est-elle dangereuse ?
En quoi est-elle sage ?
On la découpe. Elle repousse.
Elle meurt. Elle repousse.
Elle enseigne aux jeunes à faire comme elle.
Ajoutez l’audace.
Ajoutez la danse.

La danse des grand-mères – Clarissa Pinkola Estès

Les abuelitas : les petites grand-mères.
La vieille femme mythique.
En quoi est-elle dangereuse ?
En quoi est-elle sage ?
On la découpe. Elle repousse.
Elle meurt. Elle repousse.
Elle enseigne aux jeunes à faire comme elle.
Ajoutez l’audace.
Ajoutez la danse.

Intuitivement, dans sa psyché, une femme comprend qu’être en bonne santé, c’est avoir une santé « florissante ». Lorsqu’elle est blessée, il y a dans son esprit et dans son âme un filament vibrant et vivifiant qui, envers et contre tout, pousse en direction de la vie nouvelle – soit vers de nouvelles forces de toute sorte, soit vers la reconstitution de l’intégrité perdue, ou la constitution d’une intégrité inconnue jusqu’alors. Cette force intérieure est mue par le désir de bien-être. Elle croit à un élément salvateur capable de lutter contre le mal. (…)
Même lorsque l’action du moi est momentanément contrariée, la femme cachée sous la terre, la gardienne du feu, maintient une attitude envers la vie – un surcroît de vie – qui pousse sans cesse vers le haut et réclame plus de vitalité et d’épanouissement, plus d’égards et d’affirmation de soi… et un peu plus encore, et encore, jusqu’à ce que l’arbre de vie ait atteint au-dessus du sol la taille de son vaste réseau de racines souterraines.
(…)

Pour expliquer la force vitale d’une femme, la poésie est nécessaire; tout comme sont nécessaires la danse, la peinture, la sculpture, le tissage, la poterie, le théâtre, la parure, l’invention, l’écriture passionnée, l’étude des livres et de ses propres rêves, les échanges verbaux avec des personnes sages, un perception, une pensée, des sensations attentives… des réalisations et des apports en tous genres… car les mots ordinaires ne suffisent pas à exprimer certains éléments mystiques, mais les sciences, la contemplation de ce qui est invisible mais palpable, et les arts y parviennent.
Pourtant, dans les orages comme dans les moments de satisfaction, la femme cachée continue à veiller sur la magnifique force vitale et elle se démène pour faire savoir qu’au moment même où nous sommes détruites, la reconstruction a commencé. Ainsi, cette force intérieure agit comme une grand-mère, la plus grande des grand-mères, l’essence de la santé et de la sagesse de l’âme qui nous guide et ne nous quittera jamais.
Nous faisons l’expérience de cette source mystérieuse par l’intermédiaire des connaissances précises et précieuses, d’une origine indiscernable, qui se présentent inopinément dans les rêves nocturnes clairs ou complexes, dans l’irruption d’idées et d’énergies apparemment surgies de nulle part, dans la certitude soudaine que notre affection, notre opinion, ou notre contact physique est réclamé quelque part, dans la détermination imprévue d’intervenir, ou de nous détourner, ou d’aller vers. Comme la vieille femme sage qui apparaît dans les contes, la source protectrice de l’étincelle d’or, se manifeste par l’intermédiaire d’exhortations intérieures à agir dans la discrétion ou au contraire de manière éclatante, d’une impulsion judicieuse à créer de nouveau, à chérir plus fort, à réparer plus complètement, à répandre plus largement, à protéger une vie nouvelle.
(…)

Quels que soient notre âge, notre condition physique, notre situation, l’esprit de la grand-mère entend nous apprendre que notre intelligence est à l’oeuvre lorsqu’il s’agit de s’efforcer d’acquérir de la sagesse et de créer une vie nouvelle. (…)

Les instruments magiques utilisés par la grand-mère archétypale pour la transformation sont restés les mêmes depuis des millénaires. La table de cuisine. La lumière de la lampe. L’unique bougie. La chanson. Le rituel. La perspicacité. L’intuition. La soupe. Le thé. L’histoire. La conversation. La longue route. Le confessionnel. La main affectueuse. Le sourire séducteur. La sensualité affûtée. Un sens de l’humour sarcastique. La capacité de lire dans les âmes. Le mot gentil. Le proverbe. Le coeurà l’écoute. La capacité d’offrir à d’autres, quand il le faut, l’expérience déchirante d’un certain regard.
Pour une femme, obtenir la connaissance souhaitée, la mettre en oeuvre et le montrer, se révèle parfois dans cette période de changements majeurs un acte de défiance, mais surtout, c’est un acte de bravoure, c’est à dire un acte de création primordiale en dépit de l’incertitude et de l’absence de sécurité, un acte qui rassemble la vie de l’âme et la miséricorde, un acte d’amour.
Le fait qu’au cours du processus d’acquisition de la sagesse, une femme soit constamment en train de ré-enraciner dans la vie de son âme constitue un acte suprême de libération.
Apprendre aux jeunes à faire de même – et par « jeunes » il faut entendre toutes les personnes qui en savent moins et sont moins expérimentées qu’elle – est l’acte le plus radical, le plus révolutionnaire. Pareil enseignement a une grande portée, il fait don de la vraie vie au lieu de rompre la ligne matrilinéaire de la femme sauvage et sage, l’âme sauvage et sage.
(…)

Malgré nos attachements actuels,
malgré nos maux, nos souffrances, nos chocs,
nos pertes, nos gains, nos joies,
le site vers lequel nous nous dirigeons est
cette terre de la psyché que les aïeux habitent,
ce lieu où les humains restent tout à la fois divins et dangereux,
où les animaux dansent encore,
où ce qui a été coupé repousse,
et où ce sont les rameaux
des arbres les plus vieux
qui fleurissent le plus longtemps.
La femme cachée
qui entretient l’étincelle d’or
connaît cet endroit.
Elle sait.
Et toi aussi.

Femmes je nous aime

Cela hurle à l’intérieur de moi. Je reconnais ce cri. Il a la couleur de la révolte, de l’insurrection, tout est dressé et prêt à partir à l’assaut.
J’en veux à l’humanité entière de sa lâcheté et de sa mauvaise foi.
Je reconnais ce cri et je me pose tranquillement avec lui, cela s’effrite et laisse place à une tristesse, qui aurait même des teintes de désespoir. « A quoi bon »
Accueillir, accueillir, accueillir. 
Cela se transforme encore.
J’ouvre la fenêtre, il fait nuit et déjà les oiseaux chantent. Nous sommes en hiver et déjà les oiseaux chantent. 


Une groupe de femmes qui cheminerait ensemble, un groupe d’hommes qui cheminerait ensemble, puis un groupe de femmes et d’hommes ? 

Et tout en même temps, toutes ces résistances au changement sincère et profond. 

Avec humilité, voir et accueillir l’autre telle qu’elle est, tel qu’il est, telle que je suis, accepter que ce n’est pas le bon moment pour elle, pour lui, pour moi, et que ce ne sera peut-être jamais le bon moment.

Je reviens aux femmes.
Le jour est là, accompagné par le cri du corbeau. 

La femme blessée par sa mère, puis par les femmes, « je suis mieux avec les hommes, ils sont plus francs du collier. Les femmes, elles parlent derrière ton dos, ce sont des langues de vipère .», « elles sont superficielles », « elles parlent pour ne rien dire », « ce sont des salopes, elles te piquent ton mari ».
Les egos non apprivoisés « je connais déjà tout cela par coeur » ou « ce n’est pas comme cela qu’il faut faire. »
Les femmes pendule, déçues à tour de rôle par les hommes et par les femmes, qui cherchent tantôt la présence des hommes, tantôt celle des femmes.
 Et puis, il y a bien sûr la femme qui ne franchit pas le cap d’aller vraiment voir à l’intérieur et qui fait le tour de sa fleur, passant de pétale en pétale, sans jamais regarder vraiment les schémas répétitifs qui se jouent, cachée derrière l’illusion du changement de pétale, sans jamais aller au coeur.
Toutes installées dans le petit royaume que nous nous sommes construit, à notre mesure, brique par brique, pour que ça fasse le moins mal possible…
Tout se ramollit… de tendresse.

Et mon coeur s’ouvre de ces femmes blessées… des femmes blessées que nous sommes toutes.
Abusées, méprisées, dévalorisées, enchaînées, cassées, surmenées, bafouées dans leur sensibilité et leur savoir, empêchées dans leur intuition, brisées dans leurs savoirs ancestraux, brûlées vives..

Je suis chacune d’entre elles.
Tiens, ça ne crie plus à l’intérieur. 

Reconnaître chacune de ces parts blessées et l’aimer, ensemble. Parce qu’ensemble, on est plus fortes, parce qu’ensemble on va pouvoir rencontrer et affronter le démon, rencontrer celle (qui correspond à une part blessée) qui vient nous hérisser les poils, et enfin, apprendre à l’aimer, aller déterrer celle qu’on ne soupçonne même pas pouvoir exister, enfouie sous des générations d’armures et de blessures et enfin l’entendre et la reconnaître… 

Se découvrir, se mettre à nu,
se découvrir, se rencontrer soi-même.
Découvrir l’autre, l’accueillir pleinement et l’aimer. 

Se découvrir, s’accueillir inconditionnellement et s’aimer.

N’oublie pas les chevaux écumants du passé – Christiane Singer

A nouveau dans ce livre, je disparais. Dans la beauté des mots, dans la vérité implicite ici livrée, en résonance, quelque part, poétiquement avec les constellations familiales.

P11
Tuer la mémoire, c’est tuer l’homme.
Lorsque nous confondons le passé avec ses désastres et ses faillites, sa poussière et ses ruines, nous perdons accès à ce qui se dissimule derrière – à l’abri des regards : le trésor inépuisable, le patrimoine fertile.
(…)
Au célèbre chant d’Hakuin :
« Tu erres dans le monde comme un mendiant et tu as oublié que tu étais fils de toi », repond la revigorante admonestation de Rabbi Nahman :
« Ah cessez d’être pauvre et retournez à vos trésors ! »
(…)
« Fermez les yeux et entendez bruire cette foule humaine dans vos dos. Toute cette humanité dont vous procédez ! Sentez derrière vous cette longue « chaîne d’amants et d’amantes » (jamais je ne me lasserai de ce vers d’Eluard), dont vous êtes en cet instant les seuls maillons visibles ! Ils n’ont pas désespéré du monde et vous en êtes la preuve vivante ! C’est avec cette conscience là que vous trouverez la force et le courage de vous élancer. Le passé n’est pas ce qui nous retient en arrière mais ce qui nous ancre dans la présence et nous insuffle l’élan d’avancer. »
(…)
Sans connaissance, sans vision et sans fertilité imaginaire, toute société sombre tôt ou tard dans le non-sens et l’agression.
(…)
L’hommage aux origines. Ainsi commence tout processus d’humanisation.

P18
Rendre hommage met en mouvement une machinerie secrète qui ouvre les prisons.
En m’inclinant devant l’autre, je ne signifie pas que tout ce qui le constitue était parfait mais que j’ai entrevu, par grâce,l’éternité qui le fonde, la part indestructible de son être.
Aussitôt, les apparences, les tentatives non abouties, les malentendus, les échecs et les blessures perdent de leur virulence et s’effritent sous la tranquille action du temps.
(…)
Lorsque, après une relation malheureuse (parents, époux, amants, etc), je me détourne et m’éloigne sans un regard, la relation est certes coupée.
Mais ce qui demeure, c’est la dépendance.
Même si la relation vivante est sectionnée, le lien têtu de l’inachevé, du malaise ou de la malédiction persiste.
(…)
Il n’y a qu’une délivrance à la dépendance maléfique : c’est l’hommage rendu. 

P25
A force de traiter les œuvres d’art comme de la matière et non comme des visions hissées jusqu’à la visibilité, on perd la trace de l’essentiel : le lieu où la vision a germé, a surgi, s’est déployée. C’est à ce lieu qu’il faut s’attarder. C’est celui de notre humanité co-créatrice, la grande pépinière de l’aujourd’hui. Pénétrer jusque dans le cœur de l’homme (des hommes) où germe l’idée créatrice sous la séculaire poussée du Vivant.
(…)
Il faut tenter en somme de sortir de la fascination du visible, du tangible, pour rejoindre l’œuvre ou le rêve d’amour avant sa glissée dans la réalité, avant sa coagulation. Un instant avant que tout n’apparaisse définitif.
Rejoindre l’œuvre dans l’espace où elle est en floraison.
(…)
S’attarder ensemble au seuil des possibles.
(…)
Errer dans les chantiers du monde, sur l’emplacement de la mosquée Bleue ou de l’abbaye du Thoronet quelques jours avant le premier coup de pioche quand y paissaient encore les moutons et y cabriolaient les chèvres.
Marcher la nuit dans New York et y entendre bruire la forêt sacrée des Iroquois.
Rejoindre le moment de bifurcation où la vie s’invente de neuf.

P33
Il n’y a que le meilleur qui soit défendable. Cette lèpre de notre époque, ce souci de tout rabaisser pour être soi-disant à la portée de chacun est une machination criminelle.

Que suis-je ?

Des têtes de Bouddha en kaléidoscope, sommet de la tête contre sommet de la tête.

Puis me voilà assise en tailleur face à la porte en miroir de mon entrée, je suis Dewa Chenpo, habillée exactement comme lui, et pourtant mon visage est reconnaissable, quelque peu déformé, tout comme ma coiffe rouge, l’image « ondule ».
Paris, la Seine. Une partie s’effondre, comme si elle n’était pas suffisamment accrochée à ma mémoire.
Le monde peut chavirer, disparaître, en un instant.

Quelques pas au bord de mer ce midi. Le vent a dégagé le ciel, la plage devenue déserte, a aplani la surface de l’eau.
Tout est clair et vif, l’air et l’eau.
La frange des vagues, celle qui vient mourir sur la sable, tout à la fin, légèrement moussue, s’étale doucement et semble prendre son temps, s’adoucir, ralentir… une vague, deux vague, plus lente encore… la mouette suspend son vol…
le monde s’arrête… à chaque instant…
comme si, en prêtant attention, je pouvais percevoir que le monde est en pause, à chaque seconde, chaque demie seconde, quart de seconde (suite infinie qui tend vers zéro), comme des interstices révélés… un peu à la manière des films, succession d’images que notre perception n’a pas la capacité de saisir et voit en continu. 

Et dans ces interstices, ces espaces entre, une possibilité d’effondrement, à chaque instant renouvelée, et une promesse d’infini, insaisissable, comme un champ de potentialités inappréhendable, dense… et vide tout en même temps.

Le monde est autre.