Femmes qui courent avec les loups – La Loba – Clarissa Pinkola Estès

Le conte mexicain de la Loba, repris par Clarissa Pinkola Estès, Femmes qui courent avec les loups, représente pour moi, l’énergie féminine et tout le travail qui incombe à la femme, son rôle et ce qu’elle a à transmettre…
“Au Mexique, on dit que les femmes portent la luz de la vida, la lumière de la vie.”

Il est une vieille femme, qui vit dans un endroit caché, connu de tous mais que bien peu ont vu. […] Elle se donne différents noms : La Huesera, la Femme aux Os; La Trapera, la Ramasseuse, et La Loba, la Louve. La Loba a pour unique tâche de ramasser des os. Elle a la réputation de ramasser et de conserver surtout ce qui risque d’être perdu pour le monde. Sa caverne est pleine d’os de toutes sortes appartenant aux créatures du désert : cerfs, serpents à sonnettes, corbeaux. Mais on la dit spécialiste des loups.[…]
Lorsqu’elle est parvenue à reconstituer un squelette dans sa totalité, […] elle s’asseoit près du feu et réfléchit au chant qu’elle va chanter. Quand elle a trouvé, elle se lève et, les mains tendues au-dessus de la criatura, elle chante. C’est alors que la cage thoracique et les os des pattes du loup se recouvrent de chair et que sa fourrure pousse. […] La Loba chante encore et la créature se met à respirer. La Loba chante toujours, un chant si profond que le sol du désert tremble et pendant qu’elle chante, la bête ouvre les yeux, bondit sur ses pattes et détale dans le canyon.
Quelque part durant sa course, […] elle se transforme soudain en une femme qui court avec de grands éclats de rire vers l’horizon, libre.

  1. 49-53 Nous sommes toutes au début un tas d’os, un squelette démantelé gisant quelque part dans le désert sous le sable. A nous de recoller les morceaux. C’est une tâche pénible qu’on doit exécuter quand la lumière est bonne, car il faut y consacrer beaucoup d’attention. La Loba nous montre ce que nous devons chercher – l’indestructible force vitale, les os. […] Nous pouvons aller directement à la recherche de l’âme. […] Par le chant, nous allons pouvoir évoquer les restes psychiques d’âme sauvage et lui redonner forme vivante. La Loba chante au-dessus des os qu’elle a rassemblés. Chanter, c’est se servir de la voix de l’âme. C’est transmettre par le souffle la vérité du pouvoir et la vérité du besoin, c’est insuffler de l’âme à ce qui souffre ou a besoin de se rétablir. Pour ce faire, il faut plonger au plus profond des émotions et de l’amour, jusqu’à être submergé par le désir d’une relation avec le Soi sauvage,, puis laisser s’exprimer l’âme à partir de cet état d’esprit. C’est cela, chanter au-dessus des os. Nous ne pouvons faire l’erreur de tenter de tirer d’un amant cette magnifique forme d’amour, car cette tâche féminine qui consiste à trouver et à chanter l’hymne créatif est un travail solitaire qui s’accomplit dans le désert de la psyché. Examinons La Loba. Dans le vocabulaire symbolique de la psyché, le symbole de la Vieille Femme est l’une des personnifications archétypales les plus répandues dans le monde, les autres étant la Grande Mère, le Grand Père, l’Enfant divin, le Trickster ou fripon, le Sorcier ou la Sorcière, la Vierge et le Jeune Homme, l’Héroïne-guerrière, le Fou ou la Folle. On peut considérer La Loba, elle, comme fondamentalement différente en ceci qu’elle est la racine nourricière de tout un système instinctuel. L’essence sauvage qui vit dans la nature a reçu quantité de noms. […] Ce sont là des représentations de ce qui vit en-dessous de la colline, au fin fond du désert, dans les profondeurs de la forêt. Quel que soit le nom qu’on lui donne, la force que personnifie La Loba enregistre le passé de tous et le passé du monde, parce que génération après génération, elle a survécu et qu’elle n’a plus d’âge. Elle est l’archiviste des intentions des femmes, la conservatrice de la tradition féminine. Ses moustaches perçoivent le futur; son regard voilé de vieille sage voit loin; elle existe simultanément en amont eten aval du temps. Cette ancienne, la Vieille qui Sait, nous la portons en nous. Elle s’épanouit au plus profond de l’âme-psyché des femmes. Elle habite cet espace du temps où l’esprit et l’instinct se mêlent, où la vie profonde assoit la vie de ce monde. C’est le point où se rejoignent et s’embrassent le “je” et le “Tu”, l’endroit où, en esprit, les femmes courent avec les loups. Cette vieille femme se tient entre deux mondes : celui du rationnel et celui du mythe. Elle est leur articulation. Cet entre-deux est le lieu inexplicable que nous reconnaissons quand nous en faisons l’expérience, mais si nous essayons d’en saisir les nuances, elles nous échappent et changent de forme, sauf si nous passons par la poésie, la musique, la danse ou les histoires. […] Ce qui est certain, c’est que ce territoire est vieux, plus vieux que les océans. Il est sans âge. L’archétype de la Femme Sauvage est le fondement de cette couche qui émane de la psyché instinctuelle. Même si elle prend différentes formes dans nos rêves et nos expériences créatrices, elle n’appartient pas à la strate de la mère, de la vierge, de la femme médiale,  elle n’est pas non plus l’enfant intérieur. Ni la reine, l’amazone, l’amante, la voyante. Elle est ce qu’elle est et elle le reste, quels que soient les noms qu’on lui donne […]. L’archétype se devine dans les images et les symboles que l’on trouve dans les contes, la littérature, la poésie, la peinture et la religion. Sa lumière, sa voix, son parfum, sont destinés à nous tirer de la contemplation morose de la gadoue pour nous offrir à l’occasion une promenade dans les étoiles. […] Là où vit La Loba, les esprits se manifestent sous la forme de personnages et la voz mitologica, la Voix Mythologique de la psyché profonde, parle en tant que poète et oracle. Ce qui a valeur psychique peut être rendu à la vie une fois mort. Et ce qui fonde toutes les histoires ayant jamais existé provient de l’expérience que quelqu’un a eue sur ce territoire psychique inexplicable, et de sa tentative pour raconter ce qui lui est arrivé là. Ce lieu entre les mondes porte des noms divers. Jung l’appelait l’inconscient collectif, la psyché objective […] Ce site a beau donner une solide santé psychique, on ne doit pas l’approcher sans préparation, car on pourrait être tenté de se noyer dans le ravissement qu’il procure.
  1. 55-61 La Loba représente un parallèle à des mythes universels, dans lesquels les morts sont ramenés à la vie. Dans la mythologie égyptienne, c’est ce que fait Isis chaque nuit pour son frère défunt Osiris, démembré par Seth, le frère malfaisant. Du crépuscule à l’aube, Isis travaille à rassembler les morceaux d’Osiris avant le matin, sans quoi le soleil ne se lèvera pas. Le Christ a ressuscité Lazare, mort depuis si longtemps quil “sentait”. Une fois l’an, Déméter fait revenir la pâle Perséphone, sa fille, du Royaume des Morts. Et La Loba chante au-dessus des os.
    En tant que femmes, c’est là notre pratique de la méditation : rappeler les aspects de nous-mêmes démembrés, morts, rappeler les aspects démembrés, morts, de la vie même. […] apprendre à déterminer ce qui, autour de nous, en nous et à notre propos doit vivre ou mourir. Il nous faut nous permettre de mourir à ce qui doit mourir, permettre de vivre à ce qui doit vivre.  […]
    Au Mexique, on dit que les femmes portent la luz de la vida, la lumière de la vie. Et cette lumière ne se trouve ni dans les yeux, ni dans le coeur de la femme, mais en los ovarios, dans ses ovaires, où dès avant sa naissance, est déposé tout le stock de graines. (l’image équivalente, pour les hommes, si l’on explore les idées profondes sur la fertilité et la nature des graines, ce sont los cojones, les bourses, le scrotum). C’est ce qu’on apprend en s’approchant de la Femme Sauvage. Quand chante La Loba, elle chante avec ce que lui apprennent los ovarios, avec un savoir qui vient du plus profond du corps, du plus profond de l’esprit, du plus profond de l’âme. Le symbole de la graine et le symbole des os sont similaires. […]
    Imaginez cette vieille femme comme la femme quintessentielle, la femme de deux millions d’années. La Femme Sauvage originelle, qui vit en-dessous du monde et pourtant réside aussi à sa surface. Elle vit en nous, par nous. […] J’ai toujours été frappée par le plaisir que les femmes prennent à creuser profondément le sol. Elles plantent des bulbes pour le printemps, repiquent des plants de tomates au parfum âcre, leurs doigts profondément enfoncés dans le terreau. Pour moi, elles creusent à la recherche de la vieille femme de deux millions d’années. […]  Car avec elle, elles se sentent unes etsereines. […]
    C’est elle qui joue le rôle de fossoyeur des choses-des-femmes mortes ou en train de mourir. C’est elle le chemin entre les vivants et les morts. C’est la voix mythique qui connaît le passé et notre histoire ancienne et les conserve pour nous sous forme d’histoires.
    Parfois, nous rêvons d’elle comme d’une voix désincarnée, mais magnifique. […]
    La Loba, la veille femme du désert, ramasse des os. En symbologie archétypale, les os représentent la force indestructible. On ne peut facilement les réduire. Leur structure les rend difficiles à brûler etpresque impossibles à pulvériser. Dans les mythes et les histoires, ils représentent l’âme-esprit, qui, nous le savons, peut être blessée, mutilée, mais se révèle pratiquement presque impossible à tuer. […] Les os sont assez lourds pour qu’on s’en serve comme d’une arme, assez acérés pour entamer la chair, et, une fois vieux, pour tinter comme du verre. […]
    La vieille qui ramasse des os est en nous. En nous sont les os d’âme de ce Soi sauvage. Nous avons en nous le potentiel pour reprendre chair et redevenir la créature que nous avons été. Nous avons en nous les os pour changer le monde et notre monde. […] C’est pour se recentrer sur le plan psychique que les gens pratiquent la méditation, entreprennent des analyses et des psychothérapies, analysent leurs rêves et ont des activités artistiques, que certains interrogent le Yi King, font de la danse, du théâtre, des percussions, taquinent la muse ou prient. C’est cela, rassembler les os. Ensuite, il faut s’asseoir au coin du feu et réfléchir à l’hymne de création, ou de re-création, que nous allons chanter au-dessus des os. Et les vérités que nous disons feront la chanson. […]
    Nous aussi, nous “devenons” lorsque nous déversons de l’âme sur les os que nous avons trouvés. Tandis que nous déversons notre nostalgie et nos peines de coeur sur les os de ce que nous étions dans notre jeunesse, de ce que nous savions des siècles auparavant, sur l’accélération que nous percevons dans le futur, nous nous tenons à quatre pattes.  En déversant de l’âme, nous sommes revivifiées. Nous ne sommes plus désormais une petite chose en train de se dissoudre. Non, nous sommes à l’étape de transformation où nous “devenons”.​

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